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L'oxydation in situ : expériences et critères d'application

30 mars 2006 Paru dans le N°290 à la page 45 ( mots)
Rédigé par : Solène TOUZé et Frédérique FABRE

Commercialisée depuis une dizaine d'années aux États-Unis et depuis cinq ans environ en Europe, l'oxydation in situ est une technique de remédiation qui connaît une forte évolution et un certain succès. Malgré un principe actif simple, la mise en oeuvre de la technologie est délicate. Son utilisation récente ne permet pas de disposer d'un recul important mais il est possible d'appréhender en partie ses limites d'applications. La qualité de distribution de l'oxydant au sein de la zone polluée reste un des points les plus problématiques de cette technologie.

est une technique de remédiation des sols et des eaux souterraines pollués utilisant des réactifs oxydants pour dégrader chimiquement les polluants. En théorie, elle permet de traiter aussi bien le panache que la source de pollution en zone saturée ou insaturée. Dans la pratique, elle est le plus souvent utilisée pour traiter directement la source de pollution dans une zone saturée. Elle est généralement utilisée sur des polluants organiques de type aliphatique non saturé ou aromatique, chlorés ou non. Elle est moins efficace, par exemple, sur les hydrocarbures aliphatiques saturés (octane, hexane) et sur les alcanes chlorés (chloroforme, …). Les composés organiques aliphatiques sont des hydrocarbures à « chaîne ouverte ». Les plus courants dans le domaine de la dépollution sont les solvants chlorés (composés organo-halogénés volatiles = COV).

Le principe actif repose sur la dégradation des polluants par oxydation. Dans cette réaction électrochimique, un composé perd un ou plusieurs électron(s), qui devient après réaction un composé réduit. Les oxydants employés par cette technologie doivent être capables de dégrader les polluants en composés non nocifs. Dans le cas des solvants chlorés, les polluants peuvent être décomposés en chlore et dioxyde de carbone.

Les différents types d’oxydants et leurs systèmes de mise en place

Les oxydants les plus courants sont le peroxyde d’hydrogène associé au fer (Fenton), l’ozone et le permanganate de potassium ou sodium. Le Fenton et le permanganate se présentent sous la forme solide ou liquide tandis que l’ozone est un produit gazeux. Les réactions chimiques entre les oxydants et les polluants s’effectuent en phase dissoute. Chaque oxydant a des propriétés spécifiques qui conditionnent ses conditions optimales d’utilisation. Ces conditions dépendent essentiellement de la géochimie du site : pH, teneur en réducteur, teneur en fer pour le Fenton, …

[Encart : Exemple de l’oxydation du trichloroéthylène (C₂HCl₃) par le permanganate de potassium (KMnO₄) 2 KMnO₄ + C₂HCl₃ → 2 CO₂ + 2 MnO₂ + 2 KCl + HCl]
[Photo : Figure 1 : principe de l’injection d’un oxydant.]

Il existe deux types de systèmes de mise en place de l’agent oxydant : l’injection et le malaxage en surface et en profondeur.

La technique de malaxage, plus récente et novatrice, est cependant très peu utilisée dans le traitement par oxydation in situ. Dans la plupart des cas, le traitement est donc réalisé par injection des oxydants liquides au moyen de puits. Le réseau de puits doit couvrir la zone à traiter afin que le polluant soit bien en contact avec l’oxydant. Si l’efficacité de la dégradation n’est pas satisfaisante, il est possible d’améliorer le traitement en installant des puits complémentaires de pompage. Le procédé consiste à pomper les oxydants qui n’ont pas réagi en aval de la zone de traitement. Ce système a pour but d’améliorer la dispersion des oxydants et de recycler ceux qui n’ont pas agi au contact de la pollution. Lors d’une injection, l’apport d’une quantité importante de liquide dans la zone saturée peut entraîner, par effet piston, un déplacement d’une masse d’eau équivalente à la quantité injectée, et donc décaler la pollution vers des zones non polluées. La procédure d’injection doit être conçue de manière à éviter ce type de problème.

La figure 1 est un schéma simplifié des deux configurations d’injection dans un sol pollué par des DNAPL (Dense Non Aqueous Phase Liquid).

Elle peut être mise en place là où des technologies plus classiques ne sont pas opérationnelles (Pump & Treat, excavation, …) et cela avec un coût raisonnable. En effet, elle permet de s’attaquer avec succès à des pollutions récalcitrantes telles celles dues aux solvants chlorés.

En outre, elle s’applique à des sites sur lesquels des contraintes immobilières sont importantes (habitations à proximité, sites encore en activité…) car les installations en surface sont limitées, dans le cas de l’injection, aux procédés de fabrication de l’oxydant (mélangeur ou réacteur), au compresseur et au point d’injection. Avant la phase de traitement, le site doit être accessible à des engins de forage.

Par ailleurs, l’oxydation traite avec efficacité des pollutions de tailles conséquentes en profondeur comme en surface ; les puits de forages peuvent atteindre plusieurs dizaines de mètres. Théoriquement, il n’y a pas de limite de surface à traiter, le dimensionnement du réseau de mise en place de l’oxydant s’adapte à toutes les géométries.

Enfin, le faible temps de traitement est un avantage souvent mis en avant par les professionnels de l’oxydation in situ car l’analyse des études de cas montre que la plupart des projets sont menés à bien en un an.

Contact oxydant/polluant, le point critique à résoudre

Malgré ces nombreux avantages, il existe des difficultés techniques importantes à la réalisation d’une opération de traitement par oxydation in situ. Un des principaux paramètres critiques est l’efficacité du contact entre l’oxydant et le polluant. Ce paramètre est difficile à maîtriser car il dépend de nombreux facteurs : nature du polluant, nature de l’oxydant et géologie, hydrologie et géochimie du site.

[Encart : aux États-Unis et en Europe Plusieurs centaines d’opérations industrielles utilisant l’oxydation chimique sont répertoriées aux États-Unis depuis 1995, contre moins d’une centaine en Europe. L’analyse de ces opérations de traitement conduit à observer des tendances similaires des deux côtés de l’Atlantique : * l’oxydation est peu réalisée pour le traitement de la zone insaturée seule ; * l’oxydation a lieu majoritairement dans des sols sableux ; * les durées de traitements sont rarement supérieures à 2 ans ; * la majorité des applications sont des opérations industrielles ; * la totalité des polluants traités sont des polluants organiques ; * la quasi-majorité des applications concernent des pollutions aux solvants chlorés ; * la quasi-totalité des études de cas utilisent du permanganate ou du fenton. Grâce à l’expérience ainsi capitalisée, les professionnels américains disposent de références solides à montrer aux clients potentiels et aux autorités avec pour conséquence immédiate l’augmentation du taux de confiance des décideurs dans cette technique de remédiation. En Europe, le nombre de références fait encore défaut et ce manque ne crée pas les conditions favorables pour le développement de l’oxydation. Cependant, malgré ce manque d’expérience, la majorité des études de cas recensées en Europe sont des opérations industrielles. Cela montre bien que de nombreuses entreprises se lancent dans l’oxydation sans avoir une phase de mise au point de la technique conséquente, comme c’est le cas pour des technologies plus lourdes de type BPR (Barrière Perméable Réactive) ; cette technique ne faisant pas appel à une technologie de pointe qui demande une très forte technicité, mais nécessitant plutôt une acquisition de savoir-faire. Les Pays-Bas se détachent nettement des autres pays par le nombre important d’applications. Cela s’explique, en partie, par une configuration géologique très favorable aux systèmes de traitement par injection. En effet, les Pays-Bas sont principalement constitués de formations sableuses propres (fraction argileuse faible). Cette caractéristique autorise une injection plus aisée et une mise en contact plus efficace de l’oxydant avec le polluant. De plus, les facilités d’injection rendent la technique financièrement très attractive.]

En fonction du type de sol, l'injection va être plus ou moins facilitée et efficace. En effet, il est plus facile d’injecter des produits quels qu'ils soient dans des sols sableux pauvres en argile que dans des sols argileux. La perméabilité des sols sableux étant plus élevée, la dispersion des produits est beaucoup plus efficace.

Le système de distribution doit aussi prendre en compte les hétérogénéités de la pollution et des milieux pollués. Le réseau doit s’adapter aussi bien aux zones où se trouvent des “hot spots”, qu’à celles où la pollution est plus diffuse. Dans le cas de pollutions par des NAPL (Non Aqueous Phase Liquid), les polluants sont dispersés dans la matrice et se présentent non pas sous la forme d'une poche bien délimitée, mais plutôt sous la forme d'une multitude de poches disséminées. Pour ce type de pollution, la caractérisation doit localiser au mieux ces poches pour centrer sur elles les actions de traitement.

Par ailleurs, chaque zone d’injection a un rayon d'action. Le rayon d'action de l’oxydant est plus faible que le rayon d'action hydraulique, car l'oxydant est dégradable (figure 2).

La décomposition de l’agent oxydant dépend de ses cinétiques de réaction selon les réducteurs présents dans le milieu : plus la réaction est rapide, moins le rayon d’action est important. Les oxydants les plus courants ont des cinétiques de décomposition rapides ; leur action est donc limitée en distance. Cette perte entraîne une diminution de la quantité de produit actif avant son contact avec le polluant ; ce déficit est donc une perte nette en oxydant.

Pour les oxydants les plus courants, l’ordre de persistance est le suivant : permanganate (de l’ordre du mois) > peroxyde d’hydrogène > ozone (de l’ordre de la minute). La conséquence de ces différences est que les produits les moins stables demandent plus de technicité pour la conception du plan d’injection du réseau et pour la manipulation avant injection. Sur le plan de la réaction, ce point négatif est contrebalancé par le fait que les produits les moins stables ont des cinétiques de dégradation du polluant plus rapides.

En résumé, les oxydants se dégradent vite mais dégradent vite le polluant. Ce facteur est très important pour l’élaboration du réseau de distribution. L’injection fractionnée (en plusieurs temps et/ou à plusieurs concentrations) permet un meilleur contrôle de l'injection et une meilleure efficacité. Par ailleurs, les oxydants sont aussi consommés par d'autres substrats que le polluant. Ce paramètre est appelé “demande naturelle en oxydant”. Les substrats consommateurs d’oxydant les plus courants sont la matière organique (M.O.) et les espèces minérales réduites (manganèse, fer, sulfure...). Plus le sol est riche en M.O. (sol riche en tourbe, par exemple), plus la consommation d’oxydant va être importante. Pour ce qui concerne le rayon d’injection de l’oxydant, les réducteurs naturels et le polluant vont être en compétition. Une forte teneur en réducteurs naturels diminue le rayon d’action hydraulique de l’oxydant. Dans la pratique, la majorité des traitements a lieu sur des sols sableux (sols pauvres en matières organiques).

Une fois les contraintes techniques de mise en place bien maîtrisées, les effets induits de l’opération sont aussi à prendre en compte. Les réactions d’oxydation peuvent modifier les conditions géochimiques du milieu et induire une augmentation de la mobilité d'autres polluants.

Par exemple, la dégradation des solvants chlorés entraîne un abaissement du pH et une augmentation du Eh dans la zone traitée. Ces modifications du milieu entraînent le changement de valence de certains métaux, comme le chrome, l'arsenic, l'uranium, le sélénium,... Ces variations modifient leur mobilité et/ou leur toxicité.

Par exemple, sous sa forme oxydée, le chrome (Cr(VI)) est plus mobile et toxique que sous sa forme réduite (Cr(III)). La mobilité des polluants métalliques, d'origine naturelle ou anthropique, doit donc être prise en compte lors de l'étude de faisabilité.

Enfin, la réaction d’oxydation aboutit à la formation de produits ou sous-produits susceptibles d’avoir des effets négatifs ou positifs sur le traitement de la zone polluée. Dans le cas de l'utilisation du permanganate, sa réduction entraîne la formation de précipités.

[Photo : Figure 2 – rayon d’action hydraulique et de l’oxydant]
[Encart : Maîtriser la sécurité de la technologie Cette technique, qui requiert l’utilisation de produits potentiellement dangereux (les oxydants), peut engendrer des réactions violentes. Une opération de traitement par oxydation in situ nécessite l’utilisation d’une quantité importante d’oxydant, de l’ordre de la tonne. Manipuler une telle quantité demande savoir-faire et maîtrise des conditions de sécurité. Si le transport, le stockage et la manipulation des oxydants de routine obéissent à des réglementations connues et maîtrisées par les professionnels, l’utilisation de ces oxydants dans le sous-sol, en revanche, n’est pas une activité courante. Ce poste nécessite une gestion spécifique des risques. La capacité à maîtriser les contraintes de sécurité est donc un des éléments importants à prendre en compte dans la sélection de l’entreprise.]

pités de dioxyde de manganèse (MnO₂). Ces particules peuvent avoir un rôle positif ou négatif en fonction du milieu : adsorber les métaux lourds et donc les immobiliser, entraîner un colmatage de la zone et donc diminuer la perméabilité de la zone, diminuer l’accessibilité au polluant en se développant à l'interface entre l'eau et les poches de NAPL et polluer la nappe (si la concentration dépasse 50 µg/l).

Dans le cas de l'utilisation de H₂O₂ comme oxydant, la réaction produit de l'oxygène et localement de la chaleur (réaction exothermique). Les deux facteurs réunis peuvent aboutir à des émissions fugitives en surface. Si le polluant est volatil, ces émissions vont favoriser sa volatilisation. Ce paramètre doit donc être pris en compte au regard du traitement et de la sécurité. La masse de produit formé est capable de réagir avec le milieu longtemps après la phase de traitement. Il n'existe pas actuellement de données sur le devenir de ces produits à long terme et leur impact sur l'environnement.

L'oxydation in situ est une technique de traitement reconnue au niveau international. Les nombreuses études de cas, essentiellement en provenance d’Amérique du Nord, confirment le potentiel de l’oxydation in situ pour traiter efficacement les zones polluées par des polluants organiques.

Malgré les nombreux avantages qu'elle présente (pas de déstructuration en surface, temps de traitement rapide,…) elle est peu appliquée par rapport aux technologies conventionnelles.

Les facteurs limitants sont principalement techniques et sécuritaires. La principale difficulté technique est d’obtenir un contact polluant/oxydant efficace, car les hétérogénéités du sous-sol et de la pollution ne permettent pas de contrôler tous les paramètres. Pour minimiser les risques, il est important de mener à bien une caractérisation poussée.

La seconde difficulté est liée à l'utilisation de produits dangereux, les oxydants. Actuellement, le développement technique de l’oxydation in situ se concentre principalement sur l'optimisation du contact oxydant/polluant à travers l’optimisation des techniques de mise en œuvre (injection et malaxage) et par la production de nouveaux oxydants capables de dégrader non seulement les produits dissous, mais aussi les poches de DNAPL.

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