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Méthanisation agricole en voie sèche continue : une première en France

31 octobre 2014 Paru dans le N°375 à la page 38 ( mots)
Rédigé par : Dorka PETER, Driegen JAN et Martin ROMAIN

L?installation de méthanisation du GAEC La Lougnolle (Prahecq, Deux-Sèvres) est la première unité de production de biogaz utilisant un procédé en voie sèche continue thermophile, de type « piston », à l'échelle d'une exploitation agricole, en France. Elle a été développée et réalisée par les sociétés OGIN (Pays-Bas) et INEVAL (France), avec pour objectif d'implémenter un procédé de digestion intensif et moderne développé au cours de la dernière décennie, à l'échelle d'une exploitation agricole.

L'approche moderne dans la conception et la réalisation, basée sur une expérience de plus de 20 ans dans les technologies de méthanisation à des échelles variées, a permis d'innover et d'intégrer des réponses industrielles aux défis actuels de la méthanisation « agricole » tels qu'une efficacité renforcée, un temps de rétention faible, une autoconsommation réduite, un prétraitement efficace des substrats solides pailleux et une digestion en continu d’un mélange solide compact, le tout mis en œuvre dans une unité extrêmement compacte.

Évolutions de l’approche innovante de la méthanisation chez OGIN et INEVAL

La mise en œuvre initiale de la méthanisation, et celle que l’on rencontre toujours majoritairement aujourd'hui, est la digestion de lisier en régime mésophile, en utilisant un procédé en une ou deux étapes à l'aide d’un ou plusieurs digesteurs infiniment mélangés.

En s’appuyant sur cette technologie de base, deux types de procédés industriels ont été développés depuis le milieu des années 1980 par des sociétés dans lesquelles OGIN a été impliquée. Tout d’abord, un procédé de digestion en voie liquide avec un mélange central (ascendant ou bien descendant), mais aussi un procédé de digestion horizontal avec brassage transversal ou bien longitudinal, dédié aux substrats solides avec prétraitement et post-traitement biologique et/ou mécanique.

Depuis 2002, notre expérience a été utilisée pour optimiser et mettre en application toutes ces technologies pour la réalisation d’unités de méthanisation non industrielles à des fins de production d’énergie renouvelable. L'objectif de ces développements est de minimiser l’énergie consommée et de réduire le coût des installations, par rapport aux applications industrielles existantes.

L’ensemble des pièces mécaniques (pompes, tuyauterie, vannes, mélangeurs), la géométrie et les modes constructifs des digesteurs, les moyens de chauffage, les modes de stockage, de gestion et de traitement du biogaz ont été réétudiés en fonction de leur efficacité et de leur durabilité et en prenant en compte la contrainte de la grande variabilité des substrats et des digestats.

Des prototypes d’installations en voie liquide et en voie solide ont été réalisés, testés et améliorés, puis des installations de plus grandes tailles ont été développées et mises en service.

[Photo : Première unité de méthanisation par "piston" thermophile en France - GAEC La Lougnolle (Prahecq, Deux-Sèvres)]

a montré l'importance de l'implémentation d’étapes de préparation des substrats pour améliorer le déroulement de la méthanisation, tout en réduisant le temps de séjour et en augmentant la production de biogaz.

INEVAL s'est associée à OGIN dès 2009 afin d’adapter les procédés développés par OGIN au marché français dont l'une des spécificités est la forte demande de traitement de matière pailleuse. C’est dans le cadre de cette collaboration qu’a été conçue puis construite l'unité de méthanisation du GAEC La Lougnolle.

Le projet du GAEC La Lougnolle

Le GAEC La Lougnolle est situé sur la commune de Prahecq, dans les Deux‐Sèvres. Il a été créé en 2007 et est issu de la réunion de deux GAEC familiaux.

L’exploitation est constituée d'un troupeau d’environ 110 vaches laitières, d’un poulailler d’environ 2 000 poules pondeuses et enfin de 450 ha dédiés à l’alimentation du bétail et à la culture de semences (betteraves, maïs).

Après avoir entamé une réflexion sur une unité de méthanisation dès 2009, le GAEC se lance dans une étude de faisabilité en 2010. INEVAL et OGIN sont consultés en 2011. La solution proposée est un procédé « piston » continu en régime thermophile, capable de gérer et de valoriser l'ensemble de la biomasse disponible.

Ainsi, l’installation a été conçue pour traiter 11 000 tonnes de matière par an, à un taux moyen de matière sèche de 30 %.

La biomasse proposée était la suivante :

Tableau 1

Biomasse Quantité de matière (t/an) MS estimée (%)
Fumier bovin lait 2 500 19,7
Fumier bovin pailleux 1 896 24,0
Lisier bovin 1 900 6,0
Fumier volailles 50 40,0
Fumier caprin 1 415 35,0
Ensilage maïs (semence, maïe) 300 33,0
Luzerne 154 19,5
Issues de céréales 800 87,0
Menues pailles 725 89,0
Ensilage RGI 1 250 19,5
TOTAL 10 900 30,0

Il est à noter que jusqu’à ce moment‐là, un tel mélange n’était valorisé en méthanisation que par une technologie discontinue, à faible efficacité. Parallèlement, la technologie en voie sèche continue n’était mise en œuvre que pour le traitement des déchets ménagers.

Mise en œuvre du procédé

L’unité de méthanisation du GAEC La Lougnolle a été développée pour valoriser un mélange de substrats constitué essentiellement des effluents de l’étable principale, qui accueille de 100 à 120 vaches laitières installées sur logettes paillées.

Le défi était de trouver un moyen d’exploiter efficacement ce mélange complexe afin d’en tirer une énergie abondante et faire de ce projet un succès économique.

OGIN et INEVAL ont proposé un procédé adapté à la biomasse solide, sous la forme de deux digesteurs « piston » thermophiles, précédé d'un traitement intensif à la fois mécanique, thermique et biologique.

Description du procédé :

Environ 40 % de la biomasse entrante (mélange de fumier et de lisier) est issu de l’étable, depuis laquelle elle est raclée puis acheminée automatiquement dans une trémie de stockage et d’alimentation d’environ 100 m³. Les restes de la biomasse solide sont introduits dans cette même trémie au moyen d’un chargeur télescopique. La trémie est équipée d'un fond mouvant constitué de 9 lattes de 6 m de long. Les fonctions de la trémie sont à la fois le stockage tampon, la maturation des substrats solides et leur dosage. L’intérêt majeur du fond mouvant est qu’il peut gérer indifféremment tout type de substrat solide quelle que soit la granulométrie de la matière ou sa consistance.

L’unité suivante dans le procédé est le Molares®. C'est un broyeur à marteau développé par OGIN pour le broyage et le défibrage des substrats. L’objectif du broyeur Molares® est de rendre disponible la matière végétale intracellulaire via la destruction des parois des cellules végétales, ce qui facilite l’accession des enzymes et des bactéries et leur consommation des parois et du contenu des cellules. Cet objectif a été poursuivi en intégrant une démarche d’efficacité énergétique. En effet, le Molares® a la capacité de traiter de 6 à 8 tonnes de substrat solide par heure, mais ne consomme pour ce faire qu’environ 3 kWh d’électricité par tonne de substrat traitée.

Au sortir du Molares®, nous avons installé [...]

[Photo : Schéma du procédé de méthanisation du GAEC La Lougnolle]

une autre innovation d'OGIN : une pompe piston qui a été conçue pour le transport de matière organique solide (jusqu'à 45 % de matière sèche). Celle-ci n'assure pas seulement le transfert de matière solide, mais permet également d'éviter les avaries mécaniques créées par les pierres, les plastiques, les pièces métalliques, le bois, etc.

En parallèle de la ligne d'alimentation en matière solide, une alimentation en matière liquide est possible. Ainsi, une cuve de 40 m³ recueille de la biomasse livrée par camion-citerne, du digestat liquide issu de séparation de phases, ou encore les eaux blanches et vertes du site. Ce liquide est utilisé pour diluer la biomasse solide pour atteindre un maximum de 30 % de matière sèche. Il s'agit du maximum toléré par la phase d'hydrolyse et par le digesteur « piston ».

La cuve d'hydrolyse en voie solide de 40 m³ sert à hydrolyser la biomasse liquide et les substrats riches en fibres, non dissous. Cette cuve a été conçue sur mesure et selon un nouveau concept. Il s'agit d'un procédé qui traite la matière fibreuse jusqu'à 30 % de matière sèche, selon un déplacement vertical de bas en haut et équipé d'un mélangeur vertical lent, piloté par une unité hydraulique. Le temps de rétention appliqué à cette étape d'hydrolyse solide semi-aérobie est de 36 heures. Au cours de cette hydrolyse, la biomasse déjà broyée et défibrée émet de l'oxygène sous forme de CO₂, elle est homogénéisée et permet une bonne acidification grâce à un phénomène de percolation. Par ailleurs, cette phase d'hydrolyse fonctionne en régime mésophile (32 °C).

La matière prétraitée est extraite de la partie haute de la cuve d'hydrolyse, puis est transportée via une seconde pompe piston pour alimenter les deux digesteurs piston de 330 m³, construits en acier. L'alimentation quotidienne est de 30 tonnes par jour. Un mélangeur longitudinal est mis en place dans chaque digesteur pour le brassage et le chauffage de la matière. Sur l'une des faces, le brasseur est entraîné par une unité hydraulique.

Le temps de rétention dans chaque digesteur est d'environ 18 jours. La charge organique appliquée est légèrement supérieure à 13 kg MO/m³ réacteur/jour. Cette charge organique permet aux digesteurs de produire 160 m³ biogaz/heure, avec une concentration en méthane de 60 %.

Après la digestion, une presse à vis sépare le digestat en un solide fibreux et un digestat liquide. Le digestat liquide est stocké dans une lagune couverte de 4 800 m³ jusqu'aux périodes d'épandage, alors que le digestat solide est stocké sur une plateforme en plein air.

Le biogaz produit est stocké dans un ballon de 300 m³ placé directement au-dessus des digesteurs, ainsi que dans la lagune de stockage de digestat qui a ainsi une double fonction.

Performances

Le biogaz est brûlé dans une unité de cogénération d'une puissance électrique de 400 kW. L'électricité produite est injectée sur le réseau public de distribution.

La consommation d'électricité du système est équivalente à environ 6 % de l'électricité produite.

Par ailleurs, environ 15 % de la chaleur produite par l'unité de cogénération est utilisée pour le chauffage de la biomasse et le maintien en température : l'hydrolyse est maintenue en conditions mésophiles et les deux digesteurs sont maintenus en conditions thermophiles.

Le reste de la chaleur est valorisée dans un réseau de chaleur qui alimente :

  • — Un sécheur à foin et paille (balles rondes et carrées) sur le site du GAEC,
  • — Une cellule sécheuse de semences, sur le site du GAEC,
  • — La salle de traite du GAEC,
  • — Deux habitations situées à proximité,
  • — L'école primaire et le collège de Prahecq,
  • — Une usine d'embouteillage.

Le site est aussi équipé d'une chaudière mixte au fuel et au biogaz, afin d'assurer la continuité de fourniture de chaleur lors d'arrêts de l'unité de cogénération ou de la production de biogaz.

Après une année d'exploitation, nous constatons que la majorité des objectifs initiaux du projet ont été atteints. L'un des résultats les plus intéressants est la performance atteinte par le système de prétraitement intensif suivi de l'hydrolyse en voie solide et des digesteurs « piston ». En effet, le rendement en méthane est de 290 L(CH₄)/kg(MO), avec un temps de séjour en digestion de 18 jours. Ainsi, l'efficacité de ce procédé continu pour la digestion de substrats très pailleux a été démontrée.

Les difficultés rencontrées ont concerné la mécanique du système de prétraitement sur laquelle nous sommes intervenus à plusieurs reprises afin d'assurer la capacité de traitement souhaitée, et de gérer les grandes variations de texture de la biomasse.

Développements

Au cours de l'année écoulée, nous avons développé et mis en œuvre un modèle de digesteur « piston » de taille plus importante (1 250 m³), de forme rectangulaire

[Photo : Figure 3 : Nouveau procédé de prétraitement intensif.]

et en béton. Nous avons également adapté le système de prétraitement pour être en mesure d’alimenter un tel digesteur. Plusieurs adaptations ont par ailleurs été développées pour la digestion quasi mono-substrat de biomasse très sèche comme le fumier équin.

Le procédé de prétraitement unique et innovant développé par OGIN et INEVAL, en combinaison avec la technologie de digestion à haut rendement par digesteur « piston » continu, donne une perspective très intéressante pour l'utilisation de la paille et d’autres matériaux fibreux de façon pérenne en France. Ce procédé de prétraitement a récemment été complété avec une étape de découpe et de mouillage de la paille. Cette étape renforce encore notre position de considérer la paille comme un substrat de valeur importante pour la méthanisation.

Les restrictions techniques à son utilisation se retrouvent fortement diminuées.

Enfin, un autre développement technologique mené par OGIN et INEVAL est la mise au point d’un procédé de prétraitement capable de préparer les fientes ou le fumier de volaille, notamment en passant par une réduction de la charge azotée, pour être digéré en mono-substrat dans un digesteur continu.

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