Le Centre International de l’Eau de Nancy (NANCIE)
Le Centre International de l’Eau de Nancy (NANCIE) est une association créée à l’initiative du District de l’Agglomération Nancéienne en 1984. Devenu un des plus importants centres de recherche publics sur l’eau en France, NANCIE s’appuie sur un technopole, dont il a suscité la création et qui comporte : des laboratoires d’analyses et de recherches, des bureaux d’études, des groupements d’intérêt public… soit près de 250 spécialistes regroupés sur un même site : le Pôle de l’Eau.
Les domaines d’activités du NANCIE sont : la coopération internationale (décentralisée, institutionnelle et multilatérale), la recherche, l’innovation et le transfert.
Le Département Recherche-Innovation-Transfert s’est attaché à développer des activités en matière de génie urbain de l’eau et de maîtrise des hydrosystèmes superficiels. En devenant CRITT (Centre Régional d’Innovation et de Transfert Technologique) en 1994, le NANCIE a développé une activité nouvelle, orientée vers la maîtrise des utilisations industrielles de l’eau, en amont et en aval des procédés.
Les travaux de recherche effectués au Laboratoire de Chimie Minérale de l’Université Nancy I – Henri Poincaré par le Professeur Omer Evrard et son équipe ont abouti en 1989 à la réalisation d’une synthèse à l’état solide d’un sulfate-ferrate de potassium stable sous forme de pastilles.
Ce réactif stable, ayant montré dès les premiers travaux d’application des propriétés coagulantes, floculantes, oxydantes et désinfectantes, l’équipe de l’Université Henri Poincaré et le NANCIE se sont associés pour initier un projet de recherche global visant à déterminer les caractéristiques de ce nouveau produit et ses applications potentielles en matière de traitement des eaux potables, industrielles, usées et des boues.
Cet article présente à la fois les potentialités du réactif dans le traitement des eaux et l’originalité de sa synthèse par voie sèche.
L’ion tétraoxoferrate FeO₄²⁻ ou ferrate (VI)
Sous sa forme oxydée, le fer est surtout connu pour ses degrés d’oxydation +II et +III, ceux-ci constituant des états stables du fer vis-à-vis de l’eau ; ainsi on connaît de nombreux sels ferreux et ferriques. En revanche, les degrés d’oxydation du fer supérieurs à III donnent lieu à des composés instables, qui sont désignés communément sous le terme de ferrates.
L’ion ferrate (VI) FeO₄²⁻ qui nous intéresse ici, bien que révélé par E. Frémy en 1841, n’a été l’objet que d’un nombre limité d’études ; la raison principale étant la difficulté de synthèse qu’entraîne son instabilité.
Propriétés de l’ion ferrate (VI) en solution aqueuse
La figure 1, ci-dessous, représente les potentiels redox normaux apparents des systèmes Fe(VI)/Fe(III), Fe(III)/Fe(II), Fe(II)/Fe°, ainsi que les systèmes redox relatifs à H₂O en fonction du pH.
[Photo : Diagramme potentiel-pH du fer et de l’eau à l’ambiante.]
La figure 1 montre que, quelle que soit la zone de pH considérée, FeO₄²⁻ est instable dans l’eau, et cela est dû à son haut pouvoir oxydant ; le potentiel redox du système Fe(VI)/Fe(III) est d’ailleurs comparé à celui d’autres oxydants classiques dans le tableau I.
La réaction (1) de réduction du ferrate en solution aqueuse se traduit par un dégagement d’oxygène et, simultanément, par la précipitation d’hydroxyde ferrique (ou oxyde ferrique hydraté) sous forme de flocs.
(1) 2 FeO₄²⁻ + 5 H₂O ⇌ 2 Fe(OH)₃ + 4 OH⁻ + 3/2 O₂
Le pouvoir oxydant du ferrate (VI) se voit donc doublé de propriétés de coagulant-floculant par la formation de l’hydroxyde ferrique.
Polyvalence du ferrate (VI) dans le traitement des eaux
Du fait qu’il allie des propriétés d’oxydant à celles de coagulant-floculant, l’efficacité du ferrate (VI) dans le traitement des eaux a donné lieu à un certain nombre de publications au cours de la dernière décennie.
Il s’avère être un excellent bactéricide, et son pouvoir oxydant sur des polluants organiques – tels les phénols – et minéraux – tels sulfures, cyanures – a été démontré. Au contraire des oxydants chlorés, le ferrate ne donne pas naissance à des composés toxiques ou cancérogènes (comme les haloformes).
La libération d’ions OH⁻ (voir équation (1)) lors de sa réduction permet la précipitation chimique d’hydroxydes métalliques et les résultats d’élimination de métaux lourds par FeO₄²⁻ sont spectaculaires.
Jusqu’à présent, l’efficacité du ferrate – et en particulier le ferrate de potassium – a été testée à l’échelle du laboratoire. En effet, aucune production industrielle n’a pu être réellement envisagée, le produit K₂FeO₄ étant de synthèse délicate et instable dans le temps.
Cependant, des modes de synthèse ont été proposés, notamment par J. P. Deininger (brevet U.S. 1984).
Méthode de synthèse originale de ferrates (VI) alcalins par voie sèche
Les procédés de synthèse existants consistent en l’oxydation chimique ou électrochimique d’un sel ferrique en solution aqueuse fortement alcaline (solution sodée). Cette première étape conduit à l’obtention d’une liqueur alcaline de FeO₄²⁻ à partir de laquelle sera précipité K₂FeO₄ par ajout conséquent de potasse. Le degré de pureté du produit en K₂FeO₄ dépend ensuite de nombreux lavages à l’aide de solvants organiques : éther, benzène, méthanol.
Outre les inconvénients posés par l’emploi de solvants toxiques, un tel mode de synthèse est difficilement applicable industriellement car fastidieux à mettre en œuvre et conduisant à de faibles rendements.
Comme il a été observé précédemment (figure 1), la réaction d’oxydation de l’eau par FeO₄²⁻ est moins quantitative en milieu fortement alcalin, mais il n’existe aucune zone de pH pour laquelle Fe(VI) soit stable vis-à-vis de l’eau.
L’eau apparaît donc comme l’élément directeur de la réaction de synthèse :
- • indésirable du fait qu’elle agit comme un réducteur et va ainsi affaiblir le rendement de réaction,
- • indispensable afin que les espèces réagissantes puissent migrer à température ambiante.
[Photo : Schéma du procédé réactionnel de formation de K₂FeO₄ par migration de KOH.]
D’après ces constatations, une nouvelle méthode de synthèse originale de ferrates (VI) alcalins et alcalino-terreux a été mise au point par le Laboratoire de Chimie du Solide Minéral de l’Université Henri Poincaré (Nancy I), en collaboration avec le Centre International de l’Eau de Nancy (brevet international WO 91/07352).
Ce procédé est fondé sur l’oxydation chimique, par voie sèche, d’un sel ferreux ou ferrique en milieu fortement alcalin à température ambiante, la migration des ions étant assurée par l’eau de constitution des différents réactifs.
Un mélange pulvérulent constitué du sel ferreux ou ferrique, de l’oxydant de type hypohalogénite et d’une base forte (soude ou potasse) est introduit au sein d’un réacteur rotatif. Le ferrate obtenu directement sous forme cristallisée est localisé à la surface des pastilles basiques comme le schématise la figure 2.
Un tel procédé facilement applicable à l’échelle industrielle permet l’obtention de ferrates (VI) alcalins ou alcalino-terreux selon la nature de la base utilisée.
Le sulfato-ferrate de potassium : stabilisation du fer hexavalent
L’étude de la stabilité au cours du temps de ferrates (VI) alcalins produits selon la méthode décrite précédemment montre que les ferrates répondant à la formule M₂FeO₄ se décomposent totalement après quelques jours.
Or, la substitution du fer hexavalent par un cation étranger tel que S(VI), Cr(VI), Al(III), P(V)… conduit à la stabilisation du produit sous forme d’une solution solide M₂(Fe,X)O₄.
[Photo : légende : Fig. 3 : spectres Mössbauer : de K₂FeO₄ conservé à l’abri de l’humidité 1 jour (A), 2 jours (B), 3 jours (C), de K₂(Fe₂S)O₄ six mois (D) après synthèse.]
[Photo : légende : Fig. 4 : Spectre Mössbauer effectué sur un sulfato-ferrate de potassium à l’issue de la synthèse.]
Tableau I
Potentiels normaux de différents couples redox exprimés en volts.
| Couple redox |
Potentiel standard à 25 °C |
| pH = 0 |
pH = 7 |
pH = 14 |
| FeO₄²⁻ / Fe III |
2,22 |
1,38 |
0,72 |
| O₃ / O₂ |
2,07 |
1,65 |
1,23 |
| MnO₄⁻ / Mn (II) |
1,50 |
0,84 |
0,18 |
| ClO₄⁻ / Cl⁻ |
— |
1,28 |
0,87 |
| Cl₂ / Cl⁻ |
1,36 |
— |
— |
| O₂ / H₂O |
1,23 |
0,80 |
0,39 |
Les structures électroniques respectives des cations Fe³⁺ et Si⁴⁺, Cr³⁺, Al³⁺, P⁵⁺,… étant responsables de la différence de stabilité des groupements FeO₄²⁻, SO₄²⁻, CrO₄²⁻, AlO₄⁻, PO₄³⁻.
Un exemple particulièrement étudié est le sulfato-ferrate de potassium K₂(Fe₂S)O₄ dont la stabilité a été comparée à celle de K₂FeO₄. L’évolution dans le temps a été suivie par spectroscopie Mössbauer du ⁵⁷Fe, cette technique permet de mettre en évidence les différents degrés d’oxydation du fer (figure 3).
Il est à noter que la spectroscopie Mössbauer permet de contrôler la qualité du produit à l’issue de la synthèse et comme le montre la figure 4, le pic unique caractéristique du fer au degré d’oxydation (VI) traduit une oxydation totale du sel de départ en fer hexavalent.
Le sel de départ préconisé est le sulfate ferreux sous sa forme hydratée dont l’oxydation conduit à un sulfato-ferrate de formule K₂(Fe₀,₅ S₀,₅)O₄. Cette formule a été établie par dosage chimique du rapport Fe/S et mise en évidence de
la solution solide K₂(Fe,S)O₄ isotype de K₂FeO₄ et K₂SO₄ par diffraction X.
Conclusion
Dans cet article, nous avons exposé une méthode de fabrication de sulfato-ferrates (VI) stables, selon un procédé facilement transposable du laboratoire au milieu industriel.
L'innovation consiste à opérer par voie sèche à partir du sulfate ferreux (déchet industriel), dont ce procédé permet une valorisation.
Le sulfato-ferrate ainsi produit a donné des résultats très prometteurs quant à ses applications générales dans le traitement des eaux.
Son pouvoir oxydant a été révélé notamment dans l'élimination des cyanures, tant sur une eau potable dopée (99 % d'abattement sur des traces de CN⁻) que sur un effluent industriel chargé en CN⁻ (100 % d'abattement).
De même, l'efficacité bactéricide du sulfato-ferrate a été prouvée sur les coliformes fécaux et totaux, avec des taux d'abattement respectifs de 99,8 % et 99,6 %, pour une concentration initiale de 10 mg/l en Fe(VI).
Les résultats les plus spectaculaires ont été obtenus sur les métaux lourds (Ni, Cd, Pb, Cu) : une teneur en Fe(VI) de 20 mg/l conduit à des taux d'abattement allant de 94 à 99,6 %, alors que ceux-ci plafonnent à 25 % à l'issue d'un traitement au sulfate d'aluminium.
Ainsi, il apparaît clairement que le sulfato-ferrate est un matériau polyfonctionnel prometteur, susceptible de s'intégrer dans de nouveaux procédés de traitement des eaux.
Il est nécessaire aujourd'hui de compléter les recherches afin d'optimiser la méthode de synthèse du sulfato-ferrate et la valider industriellement pour confirmer les performances du produit à l'échelle semi-industrielle.
[Publicité : HITEC]
[Publicité : Landia]