Le séchage solaire des boues repose sur la mise en contact, sous une serre, d'un air régulièrement renouvelé et d'une boue étalée sur une dalle béton et brassée mécaniquement. Entre l’entrée et la sortie de la serre, l'air s’enrichit en vapeur d’eau. Un système de ventilation assure un écoulement de l’air dans la serre afin d’évacuer la vapeur d'eau issue de la boue.
Description du procédé de séchage solaire du Groupe SAUR : HELIOCYCLE®
Le flux de vapeur transmis de la boue vers l'air dépend dans un premier temps des conditions aérauliques et thermiques dans la serre et dans un deuxième temps des caractéristiques intrinsèques de la boue.
De manière générale, l'échange de vapeur d'eau, et donc le séchage, sont favorisés par une température de boues élevée résultant du flux solaire pendant la journée et de l’inertie thermique de la boue pendant la nuit.
Le Groupe SAUR a mis en œuvre et testé son procédé de séchage solaire HELIOCYCLE® sur une unité expérimentale. Cette installation est une serre de 6 m de large et de 20 m de long sous laquelle sont étalés environ 30 m³ de boues (hauteur de boues moyenne de 35-40 cm). La serre utilisée est une serre basse qui permet d’optimiser l’efficacité du procédé.
[Photo : Phénomènes physiques pris en compte dans le modèle de séchage solaire.]
Les données recueillies sur cette installation servent de base à la validation du modèle présenté ici.
Principe de la modélisation
La modélisation du séchage solaire de boues est basée sur la prise en compte simultanée d'échanges de chaleur et de vapeur d'eau, physiquement très couplés. Les différents phénomènes pris en compte dans le modèle développé par le Groupe SAUR sont détaillés ci-après et représentés schématiquement sur la figure 1.
* Transferts thermiques
- Échauffement de la boue par le flux solaire transmis à travers la serre.
- Échange convectif entre la boue et l’air (circulation d’air au-dessus de la boue).
- Échange par évaporation entre la boue et l’air.
- Échange radiatif entre la boue et la serre.
- Échange convectif entre la paroi de la serre et l'air (circulation d’air sous la serre).
- Échange conductif entre la boue et le sol (échange à travers le béton et le sol).
* Vaporisation de l'eau
- Vaporisation de l’eau à la surface ou à l’intérieur de la boue.
* Transfert de vapeur d’eau
- Transfert de vapeur d’eau dans l’air à la surface de la boue.
D'après la littérature, le séchage convectif d'un matériau poreux a lieu suivant deux phases bien distinctes (cf. figure 2) [1], [2], [3] :
- Une phase à vitesse constante lorsque la siccité de la boue est inférieure à une siccité dite « critique ». La surface de la boue peut être considérée totalement saturée en eau et ce sont principalement les conditions d'écoulement et de température dans la serre qui fixent la cinétique de séchage.
- Une phase à vitesse décroissante lorsque la siccité de la boue est comprise entre la siccité critique (Sc) et la siccité ultime (Su) obtenue après un temps de séchage infini. Les limitations cinétiques passent progressivement de la surface non saturée vers l’intérieur du matériau et sont liées à des phénomènes de transferts internes par diffusion et/ou capillarité. Le séchage dépend alors essentiellement de la température de la boue et de ses caractéristiques intrinsèques (réseau poreux, tension de surface).
Le modèle SAUR tient compte de ces deux régimes de séchage qui supposent deux systèmes d’équations spécifiques.
Enfin, trois hypothèses ont été considérées afin de simplifier la mise en équations du système :
1. l’écoulement de l'air dans la serre est de type piston,
2. la boue est supposée efficacement brassée donc homogène sur toute sa hauteur,
3. le séchage est effectif en période d’ensoleillement, soit environ 8 h par jour.
Équations du modèle
L’écriture des bilans de chaleur et de vapeur d'eau en régime permanent conduit à un système d’équations différentielles fonction de x dont la résolution permet d’accéder aux paramètres caractérisant le fonctionnement et les performances du procédé : températures, humidité de l’air et de la boue, flux d'eau évaporé, temps de séchage en particulier.
- 1re phase à vitesse constante
Bilan thermique sur l’air :
Cp·Qair·dTa/dx = k_v·δ·(wb − wa)·Lv + h·δ·(Tb − Ta) + hr·(Tp − Ta)
Bilan thermique sur la boue :
k_v·δ·(wb − wa)·Lv = Fsol·α + hr·δ·(Ta − Tb) + C·(Tp'⁎ − Tp') + K·(Ts − Tb)
Bilan de vapeur d'eau :
δwa/dx = k_v·δ·(wb − wa)/Qair
Le temps de séchage pour atteindre la siccité critique s'exprime alors comme le rapport de la masse d’eau évaporée lorsque la siccité passe de la siccité initiale Si (teneur Wi) à la siccité critique Sc (teneur Wc) et du débit d'eau transféré dans l'air entre l'entrée et la sortie de la serre :
t_m = (Wi − Wc)·Mms / [(wa_in − wa_out)·Qair·3600]
[Photo : Cinétique de séchage en fonction de l’humidité W (kg eau/kg MS).]
* 2° Phase à vitesse décroissante
Bilan thermique sur l’air :
dwa Qair
— — Lv + h.a (Tb - Ta) + h.p (Tp - Ta)
dx 1 π/2
Qair dTa
Cp — —
1 dx dx
Bilan thermique sur la boue :
dwa Qair
— — Lv = Fsola + h.a (Ta - Tb) + C. (Tp* - Tp’) + K.(Ts - Tb)
dx 1
Bilan vapeur eau :
dwa Qair λv (Wc - W)
— — — — ——————————————— ln
dx 1 épaiss.reduc_épai Wc - Wu
Wu - W
Le temps de séchage pour passer de la siccité critique à la siccité finale visée est calculé suivant la même méthode que dans la phase précédente :
Me..épais.reduc_épai 1
t_s = ———————————————— — ln
L.i_nv_p 8.3600 (Wc - Wu)
Wu - W
* Paramètres relatifs aux transferts thermiques
h.a : proche de 1,5 W/m²/K [5]
K : autour de 0,005 W/m²/K (expérience)
C : Constante de Boltzman 5,67·10^-8 W/m²/K^4 (boue assimilée à un corps noir)
α : compris entre 0,5 et 0,9
δ : compris entre 1 et 3
* Paramètres relatifs au transfert de vapeur d’eau
k.c : proche de 1·10^-7 kg/m²/s ([5], expérience)
λ_eq : compris entre 2·10^-6 et 1·10^-4 kg/m/s pour les boues testées (expérience).
Ce paramètre λ_eq est un paramètre intrinsèque des boues considérées et doit tenir compte de leurs caractéristiques (boues d'assainissement ou boues d'eau potable, boues d'aération prolongée ou digérées par exemple).
Comparaison avec les essais
Le Groupe SAUR exploite depuis plusieurs mois une unité de séchage solaire expérimentale. Cette unité a permis de collecter un ensemble de mesures (température, hygrométrie, siccité) qui ont servi au recalage des paramètres du modèle tel que décrit précédemment.
La comparaison entre le modèle et l’expérience porte sur la durée de séchage, paramètre pertinent compte tenu de son importance pour le dimensionnement et du type de modélisation effectuée (régime permanent).
[Photo : Figure 3 : Evolution de la siccité en fonction du temps mesurée sur l’unité expérimentale du Groupe SAUR.]
[Photo : Figure 4 : Comparaison des durées de séchage mesurées et calculées]
Paramètres du modèle
Les équations décrites ci-dessus font apparaître un ensemble de coefficients qui sont, soit calculés d’après la théorie, soit recalés par rapport à l’expérience. Ces coefficients sont listés ci-dessous avec leur plage de variation.
* Paramètres relatifs à la boue
Humidité air entrée (%)
S_c : entre 40 % et 70 % ([4], expérience)
S_u : proche de 90 % (expérience)
Réduc_épai : entre 0,3 et 0,7
Temps de séchage à flux constant ()
Temps de séchage à flux décroissant ()
Nomenclature
α : | coefficient d’échange radiatif (W/m²) |
Cp : | capacité calorifique de l’air (J/kg/K) |
dx : | longueur d'une tranche (m) |
e : | épaisseur de boues (m) |
Fsol : | flux solaire (W/m²) |
K : | coefficient de perte par le sol (W/m²/K) |
l : | largeur de la serre (m) |
L : | longueur de la serre (m) |
Lv : | chaleur latente de vaporisation (J/kg) |
Mms : | masse de matière sèche dans la boue (kg) |
Qair : | débit air (m³/s) |
S : | siccité de la boue (kg MS/kg boue) |
T : | température (K) |
wa : | humidité absolue dans l'air (kg eau/kg air) |
Ws : | humidité base sèche de la boue (kg eau/kg MS) |
α : | coefficient d’absorption de la serre |
β : | ratio surface de séchage effective/surface de dalle |
hc : | coefficient d’échange convectif entre l'air et la paroi (W/m²/K) |
eqp : | coefficient de transfert de vapeur d'eau en phase à vitesse constante (kg/m²/K) |
eq : | coefficient de transfert de vapeur d’eau en phase à vitesse décroissante (kg/m²/K) |
reduc_épai : | coefficient de réduction de l'épaisseur de la boue entre la siccité initiale et la siccité critique |
Wh : | humidité absolue dans l'air saturé à la température de la boue (kg eau/kg air) |
Indices
• entrée serre
• critique
• final
• sortie de la serre
• ultime
Les textes qui sont classiquement décrites dans la littérature :
• une zone de préchauffage de la boue au cours de laquelle la siccité évolue peu car la température de la boue n’est pas suffisante pour créer un différentiel d’humidité suffisant entre la boue et l'air (~4 jours),
• une zone où la siccité évolue quasiment linéairement et pendant laquelle la vitesse de séchage est constante (~8 jours),
• une zone au cours de laquelle la vitesse de séchage ralentit et qui conduit in fine à la siccité ultime (~7-8 jours).
Comme l'indiquent les résultats d’essais, une siccité élevée correspondant à la siccité ultime de la boue considérée a été obtenue grâce à des conditions climatiques favorables et une durée de séchage suffisante. En pratique, le séchage solaire des boues est généralement utilisé pour atteindre des siccités de l’ordre de 60-70 % qui correspondent à la fin de la phase de séchage à vitesse constante. En effet, l'augmentation de la siccité au-delà de cette limite nécessite une durée de séchage complémentaire qui n'est souvent pas justifiée économiquement.
Si l'on exclut la phase de préchauffage qui n'est pas prise en compte dans le modèle, la comparaison calcul/essais montre que le modèle recalé représente bien les durées de séchage observées sur le terrain (cf figure 4).
Conclusion
L’analyse des phénomènes physiques intervenant au cours du séchage solaire des boues sous une serre a permis de bâtir une modélisation de ce procédé. Le modèle a été recalé à partir d’essais réalisés sur une unité expérimentale et les résultats de simulation montrent une bonne adéquation avec la réalité compte tenu des incertitudes sur la détermination des durées de séchage.
Le modèle tel qu'il a été décrit dans cet article pourrait donc être utilisé comme outil de dimensionnement : à partir des conditions climatiques extérieures et des dimensions de la serre, paramètres d’entrée du modèle, la surface de séchage nécessaire est estimée en fonction de la production de boue annuelle produite sur la STEP considérée et de l'objectif de siccité finale recherché.
Références bibliographiques
[1] Perry's Chemical Engineers’ Handbook, Seventh Edition, R. H. Perry, D. W. Green, Mc Graw Hill International Editions, 1997
[2] Séchage - des processus physiques aux procédés industriels, J.-P. Nadeau et J. R. Puiggali, Ed. TEC&DOC Lavoisier, 1995
[3] Étude du séchage convectif de boues de station d'épuration. Suivi de la texture par microtomographie à rayons X, A. Léonard, Thèse de doctorat 2003, Université de Liège, Ed. Faculté des Sciences appliquées n° 222
[4] Suivi du procédé de séchage thermique de boues d’épuration par microtomographie aux rayons X, A. Léonard, S. Blacher, P. Marchot, M. Crine, Récents Progrès en Génie des Procédés Volume 15 (2001) N° 82
[5] Mécanique et Rhéologie des fluides en génie chimique, N. Midoux, Ed. TEC&DOC Lavoisier, 1985
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