Le nettoyage des ouvrages de décantation ou de filtration est un aspect essentiel de l’exploitation d’une station, qu’il s’agisse d’eau potable, résiduaire ou industrielle. Les différentes pratiques cherchent à minimiser les arrêts de production et les volumes d’eau perdus. Les systèmes préexistants de chaînes ou de racleurs déplacent à intervalle régulier les matières décantées vers un exutoire. Une alternative souvent utilisée consiste à vider complètement les réservoirs pour les nettoyer manuellement, ce qui implique des perturbations importantes sur la production. À l’inverse, les systèmes présentés viennent aspirer au fond de l’eau les matières sédimentées sans les déplacer.
Exemples d’aspirateurs de boue sur divers décanteurs de stations d’eau potable
Stockholm-Lovö (Suède)
Le concept de l’aspirateur de boue WEDA SD est né du besoin exprimé par Stockholm Vatten, l’organisme public des eaux de Stockholm. Il s’agissait, dans le contexte de la rénovation d’une station, de nettoyer quotidiennement un ensemble de bassins de décantation couverts peu accessibles. WEDA proposa une rampe d’aspiration mobile de la largeur du bassin, avec rejet continu du volume extrait vers la surface par un tuyau flottant (figure 1). La boue est captée par succion directe là où elle se trouve. Cette conception se démarque des chariots et des chaînes de raclage, qui comportent des câbles suspendus et qui déplacent la boue vers une goulotte d’évacuation à l’une des extrémités du bassin.
La capacité de Stockholm-Lovö est de 250 000 m³/jour. Après ajout de floculants, l’eau du lac Mälaren passe dans des décanteurs à deux étages à courant ascendant. Le système SD a été installé en 1998 sur chacun des 6 étages supérieurs, de 10 m de large et de 40 m de long. Un rail fixé au milieu guide le chariot électrique à chenilles sur toute la longueur du bassin. La vitesse maximale est de 3 m par minute. La rampe est constituée de deux tronçons de 5 m de part et d’autre du chariot. Chaque tronçon porte une
[Photo : Vue latérale d'une rampe d’aspiration SD.]
Pompe de 25 m³/heure dont la sortie de refoulement rejoint un tuyau souple commun de 40 m de long. Le câble de commande et d’alimentation électrique des 4 moteurs est solidaire de ce tuyau d’évacuation de Ø75 mm.
Le déclenchement du nettoyage est automatique, sans aucune perturbation dans le régime de fonctionnement de la filière. Un bassin de 400 m³ est ainsi nettoyé quotidiennement par aspiration en 15 minutes, avec une consommation d’eau de 12,5 m³. Les pompes sont à l’arrêt lorsque le robot revient à son point de départ en marche arrière. Il n’y a pas de vidange annuelle programmée et aucune panne électrique sur la partie immergée n’a été relevée depuis la mise en service en 1998.
Tiffin, Ohio, USA
Cette station d’eau potable est alimentée en eaux de surface. Suite à un changement de coagulant à capacité constante de 13 000 m³/jour, la fréquence moyenne de nettoyage des décanteurs est passée de semestrielle à mensuelle à la fin des années 90. La production ne pouvait plus être assurée à capacité nominale lorsque la turbidité de l’eau brute augmentait au-delà des 10 NTU habituels pour atteindre jusqu’à 2 000 NTU.
La station de Tiffin comprend deux bassins de décantation, l’un rectangulaire en ciment avec alimentation et sortie aux extrémités opposées, l’autre circulaire en acier, avec alimentation en spirale par le fond. Malgré la planéité toute relative de la surface du fond du bassin en ciment, un système SD comparable à celui décrit pour Stockholm a été installé sans reprise du gros œuvre (figure 2). Les rampes d’aspiration sont équipées de roulettes d’appui et acceptent une tolérance par rapport à l’horizontalité. Quant au fond métallique rond, il a été équipé d’un rail circulaire que le chariot de l’aspirateur de boue suit toujours dans le même sens.
[Photo : Aspirateur de boue WEDA de Tiffin, Ohio.]
L’exploitant, Ohio American Water, a constaté une amélioration de la qualité d’eau décantée après installation des aspirateurs de boue qui, s’ajoutant à l’effet des nouveaux réactifs, a permis de répondre enfin aux nouvelles normes.
Une phase de l’exploitation de Tiffin mérite d’être mentionnée. L’usine fonctionne en gravitaire et continue d’être alimentée en cas de coupure d’électricité. Une panne de plusieurs jours provoqua l’enfouissement complet des aspirateurs WEDA sous une épaisse couche de boue. Ils furent remis en service sans intervention dans les bassins. L’opérateur fit d’abord tourner les pompes sans déplacement du chariot jusqu’à ce que l’aspirateur devienne visible du bord. Puis il commanda le déplacement graduel du robot aussi lentement que le système de pilotage le permet. L’exploitation reprit en automatique dès que ce volume inhabituel de boue fut extrait.
Des aspirateurs de boue WEDA fonctionnent également en Finlande et, plus récemment, en Pologne où 10 bassins de 100 m de long de la station de Boukenval sont équipés de systèmes SD. D’un ouvrage à l’autre, WEDA s’adapte à la largeur du bassin en disposant autant de rampes qu’il est nécessaire sur des rails parallèles et en jouant sur la puissance des pompes. L’investissement correspondant est une fraction faible du coût initial de la construction d’ouvrages neufs, dont on peut ainsi réduire le nombre ou la taille. En adaptant un aspirateur de boue sur l’existant, par exemple un décanteur couloir, on peut procéder à des nettoyages préventifs pour une performance optimale des installations, en termes de capacité et de qualité d’eau produite, et faire face à une surcharge solide passagère dans l’eau à traiter.
Nouvelle génération de robots de nettoyage télécommandés
Pour des raisons variées, les aspirateurs de boue ne conviennent pas à de nombreux sites : fond de filtre meuble ou fragile, présence de piliers, forme géométrique irrégulière ou obstacles... Dans d’autres cas, c’est le type d’opération qui ne justifie pas l’installation d’un système fixe à demeure : nettoyage peu fréquent, ambiance corrosive, etc. Mais les clients suédois municipaux et industriels ont exprimé des besoins pour le nettoyage par aspiration sans vidange de leurs réservoirs, filtres et autres lagunes en voie de saturation.
YT800 pour filtres à sable lents, grands bassins et lagunes
Pour son prototype construit en 2000, WEDA conserve la propulsion par deux moteurs électriques indépendants, qui a fait ses preuves et permet de manœuvrer sur place. Le chariot est devenu un véhicule télécommandé campé entre deux chenillettes latérales larges en matière plastique, moyennement tendues sur des roues de caoutchouc (figure 3). Hors de l’eau, il peut se déplacer à 10 m/minute. Son emprise au sol est de 1,15 × 1,20 m et sa hauteur de 0,9 m.
L’opérateur suit le robot du regard depuis le bord du bassin et le fait évoluer à sa guise en agissant sur sa console de commande radio. Ses commandes sont relayées vers l’YT800 au fond de l’eau par le câble d’alimentation électrique des moteurs. C’est que la première application est un filtre à sable « lent », dont la surface meuble ne doit pas être tassée.
La puissance de la pompe (jusqu’à 100 m³/h)
et la largeur de la buse d’aspiration (pas moins de 800 mm et jusqu’à 1,3 m) permettent le nettoyage de grandes surfaces, habituellement traitées avec des engins de chantier qui défoncent les couches superficielles en roulant dessus.
Très vite, la tête de rotation est équipée d'une double vis sans fin qui rabat la matière vers le point de succion central. Cette vis est débrayable et la hauteur de la rampe est réglable depuis le poste de commande. Bientôt, WEDA installe un projecteur et une caméra vidéo pour affiner les réglages de hauteur, de vitesse et optimiser l’efficacité du travail au fond.
Les sédiments sales sont toujours refoulés via un tuyau souple vers le point de décharge prévu. Dans les grandes stations équipées de filtres lents, il existe souvent une installation de récupération du sable. En effet, certains spécialistes défendent l'idée qu’il est préférable d’éroder de quelques centimètres, mais surtout pas plus, la surface du sable à chaque passage, notamment pour prévenir le redéveloppement des algues (référence 1). Les mêmes spécialistes insistent sur les précautions à prendre lors de la remise en eau pour éviter les poches d’air et les passages préférentiels. Enfin, le nettoyage immergé évite d’observer une période de maturation, que certains chiffrent à une semaine de perte d'exploitation.
C’est dans ce contexte d’optimisation de ses filtres biologiques qu’Eau de Paris conduit actuellement des essais sur la Station d'Ivry, qui potabilise, à partir de l’eau de Seine, jusqu’à 300 000 m³/j. Jusqu’à présent, le travail d’évacuation des algues et de nettoyage de la surface du sable (22 000 m²) s’y effectue manuellement, en équipe de 4 hommes. La recherche d’une moindre pénibilité du travail, la possible féminisation du métier, l'augmentation de la productivité, la prévention du développement des algues et la sécurisation de la stabilité de l'eau filtrée sont les points-clés de l’évaluation en cours.
[Photo : YT800 WEDA prêt à être immergé dans un filtre biologique d'Ivry-sur-Seine (Eau de Paris).]
L'YT800 WEDA a été testé avec succès sur de très grands réservoirs de stockage d'eau de pluie à fond de géomembrane en Espagne et sur des bassins anciens à purger avant rénovation en France. Les derniers perfectionnements consistent en une cisaille pour fragmenter les grandes algues et un système de visualisation complémentaire à l’arrière du robot.
Autres petits robots téléguidés
(rampe de 600 mm)
Une gamme de robots s'est constituée progressivement en réponse à deux catégories de besoins :
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1. la maintenance de châteaux d’eau et de réservoirs d'eau potable avec un robot léger pouvant passer par un trou d’homme. Le robot VR600 est muni d'une brosse rotative qui détache la crasse de la surface maçonnée (figure 4). Le matériel WEDA peut être désinfecté par rinçage chloré avant le positionnement dans le réservoir. L’augmentation de la turbidité en sortie pendant l’opération est à peine perceptible par les instruments de contrôle, avec un pic à 0,5 NTU et une moyenne de 0,25 NTU dans un cas bien documenté (référence 2). Ce robot a permis des économies d'eau dans des secteurs critiques de Sydney et de Hong-Kong.
[Photo : VR600 avec brosse rotative motorisée.]
Les exploitants français de stations d’eau potable s’accommodent de la vidange au moins annuelle des réservoirs puisqu'il est obligatoire de les nettoyer et de les désinfecter ainsi. Cette disposition fait peu de cas des inconvénients majeurs que sont l'accumulation progressive de matière et l’interruption du service.
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2. le nettoyage des bassins dans les stations d'épuration et les sites industriels. Le robot CS600 est une version plus petite à vitesse fixe de l'YT800. La pompe a la capacité de refouler la boue jusqu’à 80 mètres du point d’aspiration. Il est économique et facile à transporter. Il existe en version revêtue pour résister à la corrosion chimique.
Conclusions
L'aspiration de la matière décantée en place dans les ouvrages s'inscrit parmi les technologies de nettoyage sans vidange préalable ni interruption de production. Elle ne nécessite que des aménagements légers pour s’adapter à l’existant. Elle permet de résoudre des problèmes d’accès, de pénibilité du travail et d’économie d’eau. Les exploitants peuvent gagner en coûts d’exploitation et en qualité d’eau en l'intégrant à certains échelons clés de leur filière. Les sociétés de service disposent d’un outil complémentaire transportable et flexible qui cause un minimum de perturbation sur le site à nettoyer.
Références bibliographiques
[1] Jabur Husam S. et Jonas Mårtensson, 2004, Rinsing methods of slow sand filters, Rapport inédit SWECO VIAK AB (Suède)
[2] White T., 2003, Weda trial at Ockeridge No2 – main clean Cowleigh, Rapport interne SEVERN TRENT WATER (Royaume-Uni)