Les usines de traitement d'eau représentent souvent un patrimoine d'une valeur considérable mobilisée sur plusieurs décennies. Les propriétaires de ces installations qui délèguent leur gestion souhaitent légitimement un « bon prix » tout en ayant l'assurance que le patrimoine confié est conservé conformément à leurs attentes. Avec trois indicateurs clefs basés sur la performance économique, technique et organisationnelle d'une usine de traitement d'eau, il est possible d'évaluer la politique de maintenance mise en oeuvre. En phase d'appel d'offres, cette approche permet de définir le meilleur rapport « qualité prix ». En phase de production, il est possible de détecter des voies de progrès pour améliorer les pratiques et donc les performances techniques et économiques du site étudié. En effet, l'observation des résultats obtenus sur différentes usines montre que la plus performante sur le plan technique est aussi la plus économe grâce à la maturité de son organisation. Économies et qualité sont donc compatibles et accessibles pour les organisations efficaces. Ensuite, lorsqu'une politique est définie, il est nécessaire de s'assurer régulièrement de son efficacité et des progrès qu'elle génère. Ceci est possible en mettant en place des objectifs de résultats, basés sur la disponibilité de l'usine, couplés avec un objectif de moyen relatif à la mise en ?uvre de la certification ISO 55 001. Il est alors possible de laisser la possibilité au prestataire d'optimiser ses activités tout en garantissant que le patrimoine est maintenu conformément aux attentes de son client. Toutes les conditions d'une relation durable au bénéfice des deux parties sont alors réunies.
Jean-Pierre Hangouët, Zoubir Ait Mansour, Bénédicte GuyDegrémont, Plant Asset Management Technical Center
Les usines de traitement d’eau représentent souvent un patrimoine d’une valeur considérable mobilisée sur plusieurs décennies. Les propriétaires de ces installations qui déléguent leur gestion souhaitent légitimement un « bon prix » tout en ayant l’assurance que le patrimoine confié est conservé conformément à leurs attentes.
Avec trois indicateurs clefs basés sur la performance économique, technique et organisationnelle d’une usine de traitement d’eau, il est possible d’évaluer la politique de maintenance mise en œuvre.
En phase d’appel d’offres, cette approche permet de définir le meilleur rapport « qualité prix ». En phase de production, il est possible de détecter des voies de progrès pour améliorer les pratiques et donc les performances techniques et économiques du site étudié. En effet, l’observation des résultats obtenus sur différentes usines montre que la plus performante sur le plan technique est aussi la plus économe grâce à la maturité de son organisation. Économies et qualité sont donc compatibles et accessibles pour les organisations efficaces.
Ensuite, lorsqu’une politique est définie, il est nécessaire de s’assurer régulièrement de son efficacité et des progrès qu’elle génère. Ceci est possible en mettant en place des objectifs de résultats, basés sur la disponibilité de l’usine, couplés avec un objectif de moyen relatif à la mise en œuvre de la certification ISO 55 001. Il est alors possible de laisser la possibilité au prestataire d’optimiser ses activités tout en garantissant que le patrimoine est maintenu conformément aux attentes de son client. Toutes les conditions d’une relation durable au bénéfice des deux parties sont alors réunies.
Degrémont exploite 250 usines de traitement d’eau desservant 20 millions d’habitants en eau potable et traitant les eaux usées produites par autant de personnes. Cette activité répartie dans plus de 20 pays implique de répondre à la demande de clients dans des cadres techniques et contractuels très variés.
Cependant, quel que soit le contexte, la même question est presque toujours posée par nos clients : « Quel sera l’état de l’usine que je vous ai confiée lorsque vous me la remettrez à la fin du contrat qui nous lie ? ». Cette question révèle une inquiétude légitime, notamment lorsque le contrat est attribué au moins-disant. Dans ce cas, le client peut craindre que son prestataire cherche à réaliser des économies au détriment de la qualité et de la préservation de l’outil de production.
Mots-clefs : Exploitation, Maintenance, Contrat, Renouvellement, Patrimoine, Gestion d'actifs, Usine, traitement, Eau, Assainissement, Déchets, Délégation, Disponibilité, PAS 55, ISO 55 001.
ment de la conservation du patrimoine confié. Dans les cas plus souhaitables où le marché est attribué au mieux-disant, la question est de savoir comment mesurer objectivement la qualité de la prestation assurée et sa conformité contractuelle. L’optimisation des coûts de maintenance (maintenance préventive mais aussi réparations et renouvellement) est essentielle car ils représentent une part importante des coûts d’exploitation globaux d'une usine de traitement d’eau. Lors de l’attribution d’un marché, si ces coûts sont surestimés, il y a risque pour le prestataire de perdre l’appel d’offres par manque de compétitivité et pour le client qui le retiendrait malgré tout, le risque de dépenser plus que nécessaire. À l’inverse, si le chiffrage est sous-estimé, le prestataire prend le risque de travailler à perte et le client de voir l'état de son patrimoine se dégrader si le prestataire ne réalise pas tout ce qu'il doit faire afin de limiter ses dépenses.
Pour se prémunir d’un tel risque, certains clients tentent de se protéger via des dispositions contractuelles contraignantes comme par exemple l’imposition d’un programme de renouvellement prédéfini. Ce type de disposition, bien que compréhensible, n’est pas satisfaisant. En effet, de nombreux facteurs entrent en ligne de compte et sont interdépendants. La politique de renouvellement par exemple ne peut être dissociée de la politique de maintenance qui elle-même est impactée par les modalités d’exploitation sans parler des inévitables impondérables. La définition de programmes préétablis est de fait antinomique, ou tout au moins un frein à la mise en place d’une politique optimisée. L’enjeu est donc de disposer d'outils permettant d’ajuster autant de fois que nécessaire la gestion du patrimoine. Cela implique d'installer une relation de confiance basée sur la transparence via des outils et des méthodes partagés.
Cet article présente l'approche de Degrémont pour : • Chiffrer au plus juste les prestations de maintenance (ni trop, ni trop peu), • Disposer d’éléments de comparaison entre les différents sites exploités pour partager les bonnes pratiques et mettre en œuvre des actions d’amélioration, • S'assurer que les politiques de gestion du patrimoine mises en œuvre répondent aux attentes des clients propriétaires des installations.
Évaluation de l’efficience d’une politique de maintenance
Pour évaluer une politique de maintenance, il existe une multitude d’indicateurs potentiels à disposition. La question est de savoir quels indicateurs clefs retenir. Le but est d’éviter de les multiplier pour ne pas perdre les décideurs avec pléthore d’informations selon l’adage « trop d’information tue l’information ».
Ces indicateurs limités en nombre doivent néanmoins fournir suffisamment d’éléments de réflexion pour :
• Comparer différents sites dans le monde. • Établir un diagnostic le plus objectif possible. • Détecter les meilleures pratiques. • Proposer des actions d’améliorations efficaces et réalistes.
Pour couvrir autant que possible le sujet dans sa globalité, nous avons retenu trois indicateurs clefs :
• La Performance Économique. • La Performance Organisationnelle. • La Performance Technique.
Indicateur de Performance Économique
Pour une telle approche, un indicateur économique est incontournable. Nous avons choisi de retenir celui fréquemment utilisé par la profession, à savoir le ratio type E1 au sens de la norme NF EN 15341 de juin 2007 :
Coût total de la maintenance Valeur de remplacement des équipements
Nota : Nous avons choisi de ne pas retenir un indicateur économique basé sur les coûts de maintenance ramenés à la production (€/m³ traités, €/tonnes de déchets produits, ...) car nos usines mettent en œuvre des procédés avec des équipements très différents (traitement d’eau potable, stations d’épuration, ...) pour lesquels la comparaison des résultats n’aurait pas été pertinente. Ce type d’indicateur est néanmoins utile pour suivre dans le temps l’évolution des coûts liés à la maintenance pour une même usine notamment quand le niveau de production varie sensiblement.
L’indicateur que nous avons retenu est depuis longtemps utilisé pour comparer différentes industries et identifier les plus performantes. Dès les années 80, une étude réalisée pour le compte de Dupont De Nemours montrait que les politiques de maintenance les plus performantes au monde (BOB : Best Of the Best) permettaient d’atteindre un ratio compris entre 2 et 4 % (cf. graphe 1).
Les usines de traitement d'eau que nous exploitons mais aussi d'autres pour lesquelles nous sommes sollicitées dans le cadre de missions de conseil. Le graphe 2 représente les résultats obtenus pour 9 usines de production d’eau ou d’épuration dans 7 pays. Nous constatons que, pour ces usines de traitement d'eau, l'indicateur de performance économique varie entre 7,5 % et 13,7 % et que la plus performante, avec un taux de 7,5 %, est très loin des meilleures identifiées dans le cadre de l'étude réalisée pour Dupont De Nemours.
Pour expliquer cet écart, au-delà des trente ans qui nous séparent de cette étude, nous avons identifié 3 raisons principales :
Source d’écart n° 1 : la maintenance des sites étudiés peut être optimisée
Par définition une politique de maintenance est perfectible, et les sites étudiés, en particulier ceux avec un taux supérieur à 10 %, ont sans aucun doute de grandes marges de progrès. Pour les plus performants, des améliorations peuvent sûrement être encore apportées, néanmoins d’autres raisons expliquent l'important écart constaté.
Source d’écart n° 2 : cet indicateur économique est sujet à imprécisions
Il suffit d’entreprendre le calcul de cet indicateur pour s’apercevoir que la tâche n’est pas aussi simple qu’il y paraît. En effet, il existe de nombreuses causes d’incertitudes. Par exemple, pour le dénominateur, la valeur des équipements installés et son actualisation n’est pas toujours aisée à obtenir. Pour le numérateur, les comptabilités analytiques n’étant pas toutes structurées de la même façon, la « reconstitution » des coûts constitue également une source d’approximations. Enfin, bien que la méthode de calcul de l’indicateur E1 soit précisée dans la norme, nous n’avons pas la certitude que les paramètres pris en compte soient rigoureusement comparables d’une étude à l’autre. Par exemple, dans notre calcul, nous avons fait le choix :
- d’exclure la valeur du génie civil, des réservoirs et des canalisations qui représentent en général de l’ordre de 50 % du coût des usines. En effet, comme les actions de maintenance électromécanique ont un impact particulièrement important sur les équipements, nous avons considéré qu’il fallait se focaliser sur eux. Ceci a par ailleurs le mérite de rendre l'indicateur plus sensible ;
- d’inclure les coûts de renouvellement des équipements dans le coût total de la maintenance. Dans les métiers de l'eau, il y a souvent distinction entre « maintenance » et « renouvellement ». Nous avons considéré que cette séparation, qui peut avoir du sens pour des raisons contractuelles, n’en a pas du point de vue technique.
Ces deux choix qui augmentent la valeur du numérateur et diminuent la valeur du dénominateur peuvent expliquer les valeurs relativement élevées que nous avons obtenues par rapport à l'étude Dupont De Nemours.
Ceci illustre le fait qu’il est envisageable de comparer différents sites entre eux sous réserve que l'étude soit réalisée selon les mêmes méthodes de calcul et par la même entité évaluatrice. Toute comparaison ne respectant pas a minima ces deux critères est susceptible d’aboutir à des conclusions erronées.
Source d’écart n° 3 : l'indicateur économique est incomplet
Pour comparer avec pertinence différentes organisations, l’approche économique est nécessaire mais pas suffisante. Pour bien cerner l'efficience d'une politique de maintenance il est nécessaire d’appréhender d'autres facteurs liés à :
- la propension de l’organisation à être performante ;
- la qualité du service rendu.
Indicateur de performance organisationnelle
Principes
Pour apprécier la performance économique d'une organisation en termes de maintenance, il est important de connaître le contexte dans lequel elle évolue. Ce contexte dépend de facteurs internes et externes spécifiques à chaque site qui varient en particulier selon le contrat en vigueur et les moyens à disposition.
Par exemple, en termes de moyens à disposition, dans les pays développés l’équipe maintenance dispose aisément d’une main-d’œuvre qualifiée. Elle est entourée de sous-traitants spécialisés autant que nécessaire et l’approvisionnement en pièces détachées est fiable.
Dans certains pays en développement, la main-d’œuvre et les sous-traitants qualifiés à proximité du site sont rares et l'approvisionnement en pièces parfois aléatoire. Ainsi, dans les pays développés, des équipes qualifiées mais réduites avec un recours fréquent à la sous-traitance sont souvent privilégiées alors que, dans les pays en développement, les équipes formées sur place ont tendance à être plus nombreuses pour fonctionner en mode plus autarcique.
En ce qui concerne le type de contrat, les équipes disposent de marges de manœuvre plus ou moins importantes qui leur donnent la possibilité ou pas de mettre en œuvre une politique optimisée. Par exemple, en matière de renouvellement, certaines équipes définissent elles-mêmes une politique à leurs « risques et périls » alors que, dans d’autres contrats, cette politique est plus ou moins encadrée voire, dans certains cas, exclue.
Il est donc évident que, selon le contexte
[Graphique : Graphe 3]« pays », « contrat » ou autre, les moyens à disposition diffèrent. Les stratégies développées doivent être adaptées en conséquence et le potentiel de performance global change alors d'un site à l'autre.
L'objet de cet indicateur de Performance Organisationnelle est donc d’analyser la propension de l’organisation maintenance du site étudié à être performante compte tenu de son environnement, du type de contrat en vigueur, du personnel à disposition, de l’organisation en place, des outils et des méthodes employées...
Pour établir cet indicateur, un questionnaire d'une cinquantaine de questions est soumis à trois personnes minimum interrogées séparément (le chef d’usine, le responsable maintenance « fournisseur interne », le responsable exploitation « client interne »). L'expert en charge du calcul de cet indicateur établit une note sur 100 points après un dernier échange commun avec toutes les personnes interrogées afin d’ajuster leurs réponses.
Exemples de résultats
Cette méthode appliquée à l’échantillon d’usines de traitement d’eau présenté au chapitre précédent donne le résultat contenu dans le graphe 3.
Bien que les sites les plus performants sur le plan organisationnel soient ceux qui sont les plus performants économiquement (usines A et B), ce graphe ne permet pas de mettre en évidence de corrélation nette entre ces deux indicateurs.
Il est vrai qu’à ce stade, nous ne prenons pas en compte le résultat effectif de la politique de maintenance exprimé par la Performance Technique exposée ci-après.
Indicateur de Performance Technique
Principes
Cet indicateur de résultat a pour objectif d’évaluer le niveau de conservation de l’usine afin d’appréhender au mieux, avec l’indicateur de Performance Organisationnelle et l’indicateur de Performance Économique, le niveau de performance global de la fonction maintenance.
Le niveau de conservation de l'usine est défini comme la moyenne de son âge et de son état. L’âge de l'usine est exprimé en pourcentage de sa durée de vie. L’état de l’usine résulte de la moyenne de l'état de ses équipements pondéré par leurs valeurs. L’état des équipements est évalué selon les quatre critères suivants :
- Fiabilité (fréquence des défaillances),
- Performance (capacité à assurer la fonction),
- Signes extérieurs de dégradation (corrosions, fuites, ...),
- Obsolescence (indisponibilité des pièces, capacité à pouvoir réparer, ...).
Le niveau de conservation de l'usine peut être représenté selon la grille du tableau 1.
Cet indicateur technique relatif à l’évaluation de la conservation de l'usine a pour but d’éviter des interprétations biaisées lorsque seul l’âge ou seul l’état d'une usine est pris en compte. En effet, afin de statuer du niveau de conservation d’une installation, il faut prendre en compte à la fois son âge et son état. Par exemple :
- Une usine neuve et en excellent état n’est que le reflet d'une situation normale. Alors qu'une usine neuve en état insuffisant est le reflet d’une construction de mauvaise qualité ou d’une fonction maintenance défaillante voire absente.
- Une usine en fin de vie en état insuffisant peut tout à fait être acceptable (dans la mesure où cela résulte d'une politique délibérée car une autre installation doit prendre le relais).
- Une ancienne usine en excellent état peut être le témoin d'une fonction maintenance performante ou bien d’une « sur-qualité ».
- Etc.
Ainsi, différentes stratégies de conservation de l'usine peuvent être retenues selon la demande du client propriétaire du site (cf. tableau 2).
Exemples de stratégies :
Stratégie 1 : Usine qui « fait son âge ». L'usine est maintenue dans un niveau de conservation juste correct pour son âge, car il est prévu qu'elle soit renouvelée lorsqu’elle aura atteint son espérance de vie.
Stratégie 2 : Usine qui « ne fait pas son âge ». L’objectif est que l’usine dure aussi longtemps que possible. Cette situation est rencontrée régulièrement sur des sites anciens.
Tableau 1 – Niveau de conservation de l’usine
Âge de l’usine (en % de la durée de vie)
- Neuve (< 20 %)
- Récente (20-50 %)
- Mature (51-100 %)
- Âgée (> 100 %)
État de l’usine
- Excellent (> 75 %)
- Bon (51 à 75 %)
- Correct (26 à 50 %)
- Insuffisant (< 25 %)
Performance Technique
30 % 40 % 50 % 60 % 70 % 80 % 90 %
Performance Organisationnelle
Tableau 2
Conservation de l’usine | Âge de l’usine (en % durée de vie) | |||
---|---|---|---|---|
État de l’usine (%) | Neuve (< 20 %) | Récente (20 à 50 %) | Mature (51 à 100 %) | Âgée (> 100 %) |
Excellent (> 75 %) | ||||
Bon (de 51 à 75 %) | ||||
Correct (de 26 à 50 %) | ||||
Insuffisant (< 25 %) |
Tableau 3 – Performance (MELEE)
Usine | Organisationnelle | Technique | Économique |
---|---|---|---|
I | 47 % | 79 % | 13,7 % |
A | 79 % | 70 % | 7,5 % |
H | 60 % | 65 % | 10,9 % |
F | 63 % | 60 % | 9,4 % |
B | 80 % | 57 % | 7,8 % |
G | 65 % | 53 % | 9,4 % |
E | 53 % | 50 % | 9,1 % |
C | 43 % | 39 % | 8,3 % |
D | 50 % | 36 % | 8,4 % |
Usines de traitement d’eau dont la capacité et la qualité de traitement sont toujours conformes aux besoins parfois plus de 50 ans après leur construction.
- • Stratégie 3 : Usine « plus vieille que son âge ». Cet objectif a priori surprenant peut être retenu par exemple lorsque l'usine doit assurer sa fonction pendant un temps limité. Ce cas peut être rencontré pour le traitement d’effluents issus d’un gisement minier temporaire dont la quantité d’eau à traiter va progressivement diminuer. Dans ce cas, il peut être délibérément décidé de maintenir « insuffisamment » certains équipements, sachant qu'il sera possible de « cannibaliser » une partie de l’usine pour maintenir la partie restante en opération. En fait, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise stratégie, mais seulement des stratégies adaptées ou non aux besoins et à leurs évolutions à long terme.
Exemples de résultats
Le graphe 4 indique les niveaux de conservation des usines appartenant à l’échantillon présenté précédemment.
Nous constatons que la Performance Technique est globalement influencée par la Performance Organisationnelle (à l’exception de l'usine I et, dans une moindre mesure, de l’usine B dont les cas particuliers sont explicités au paragraphe suivant).
Ce graphe 4 montre un fait déjà connu des mainteneurs : l’organisation impacte fortement le niveau de conservation d’une usine pour un coût donné.
Analyse combinée des trois indicateurs de performances
Nous avons constaté un lien fort entre Performance Technique et Organisationnelle, mais pas entre Performance Économique et Organisationnelle.
Dans le graphe 3, les usines C, D, E, F et G affichent des Performances Économiques proches (entre 8 et 10 %) pour une large gamme de Performance Organisationnelle (entre 40 et 70 %).
Dans le graphe 5, nous avons repris le graphe 4 en affectant à chaque usine une couleur correspondant à sa Performance Technique (cf. tableau 3).
Nous voyons que l'usine I n’est pas aussi atypique qu'il n’y paraissait jusqu’à présent. En effet, sa bonne Performance Technique est assurée malgré une faible Performance Organisationnelle.
Organisationnelle au prix d’une piètre Performance Économique.
Quant à l’usine B, bien que ses performances organisationnelle et économique soient équivalentes à celles de l’usine A, sa performance technique est moindre. En effet, la logique et la méthode de calcul de la performance technique (niveau de conservation = moyenne de l’âge et de l’état) rendent l’obtention d’un haut niveau de conservation plus difficile pour une usine récente, ce qui est le cas de l’usine B (7 ans contre 20 ans). Néanmoins, nous pouvons penser que si la politique patrimoniale actuelle de l’usine B est poursuivie, il est fort probable que son niveau de conservation va automatiquement s’améliorer pour atteindre celui de l’usine A.
Par ailleurs, les usines C et D présentent une Performance Économique correcte malgré une faible Performance Organisationnelle mais, comme illustré par le graphe 4, au prix d’une mauvaise Performance Technique. À Performance Organisationnelle constante, il faudrait donc dégrader la Performance Économique de ces usines pour améliorer la Performance Technique, ou bien à Performance Économique constante améliorer la Performance Organisationnelle pour améliorer la Performance Technique.
Enfin, l’usine A est bien la plus performante. Avec la meilleure Performance Organisationnelle, et malgré ses 20 ans, elle obtient le meilleur score en Performance Technique et en Performance Économique.
Nota : au-delà de cette analyse des données, il ne faut pas perdre de vue que, malgré toutes les précautions prises pour que ces indicateurs soient comparables entre sites (même méthode de calcul, même type d’industrie…), la qualité des résultats dépend de la qualité des données disponibles. Comme elles sont inévitablement entachées d’erreurs, il convient donc d’en apprécier les ordres de grandeur plutôt que les valeurs précises calculées. « L’art de l’Ingénieur » est de raisonner juste avec des données incertaines.
En résumé, nous pouvons affirmer que pour une usine donnée (i.e. à âge équivalent) et pour une Performance Technique constante, une réduction des coûts n’est possible que via une amélioration de la Performance Organisationnelle préalable. Par contre, une réduction des coûts préalable sans amélioration de la Performance Organisationnelle risque de détériorer la Performance Technique et donc de générer ultérieurement des dépenses supplémentaires si l’on souhaite maintenir cette Performance Technique. Cette analyse permet d’éviter des économies à court terme qui génèrent des dépenses à long terme.
Le graphe 6 ci-dessus résume ces propos : cette interprétation combinée de ces trois indicateurs de Performance montre que la Performance Organisationnelle est un levier essentiel pour améliorer durablement la Performance Technique et Économique.
Intérêt et limites de cette approche
Cette approche synthétique présente l’avantage d’appréhender la performance globale d’un site avec seulement trois indicateurs explorant trois « dimensions » différentes.
En exploitation, elle permet de définir des objectifs atteignables et spécifiques aux usines pour les aider à progresser, et au niveau d’une offre, de chiffrer le point de fonctionnement optimal en fonction du contexte local. Avec cet outil, il est ainsi possible de chiffrer des prestations à la fois rentables et compétitives pour répondre durablement aux attentes des clients.
Cette approche est également précieuse pour comparer des sites entre eux afin d’optimiser leurs fonctions maintenance en échangeant de bonnes pratiques. De plus, le fait de disposer d’installations de références, avec des niveaux de performance différents, permet de proposer aux sites étudiés une évolution réaliste empruntant des « points de passage » réels. Cependant, la comparaison entre sites a des limites notamment en raison, par exemple, du biais introduit par le fait que la conception des usines diffère dans la plupart des cas. Il faut donc garder à l’esprit que la meilleure comparaison possible est celle de l’usine étudiée par rapport à elle-même et que l’objectif final est de s’assurer que sa performance s’inscrit dans un processus d’amélioration continu.
Nous répondons ainsi à deux des objectifs présentés en introduction (chiffrer au plus juste et disposer d’éléments de comparaison) mais pas au troisième qui a pour but de s’assurer que les politiques de gestion du patrimoine mises en œuvre répondent aux attentes des clients propriétaires des installations.
En effet, cette méthodologie relève d’une démarche d’expertise qui implique les limites suivantes :
Il s’agit d’études ponctuelles qui, certes, peuvent être reconduites régulièrement mais qui doivent être espacées, ne serait-ce que pour laisser le temps aux politiques mises en œuvre de faire effet (inertie structurelle des usines). Or, un site a besoin d’indicateurs fréquents pour s’assurer qu’il est sur la bonne voie sans attendre des mois voire des années pour en avoir l’assurance ou bien pour détecter au plus tôt des dérives afin d’apporter les corrections qui s’imposent.
Cette approche permet au prestataire de définir le plus objectivement possible une politique optimisée, cependant, elle ne peut pas lui permettre de répondre en
même temps au besoin de son client de disposer d'un avis indépendant car il serait « juge et partie ».
Les clefs d’une approche objective et transparente
Une fois que client et prestataire sont liés par un contrat, ils ont tout intérêt à établir une relation de confiance garant d'une coopération fructueuse et donc durable pour le bénéfice des deux parties. Pour que ce type de relation ne soit pas qu’un vœu pieux, il faut mettre en place des moyens adaptés et en mesurer régulièrement les effets.
La demande légitime de tout client est de recevoir la meilleure prestation possible au meilleur prix. Le meilleur prix peut être obtenu via une procédure d’appel d’offres. Par contre pour la qualité de la prestation, le client ne peut se fier au seul avis technique de son prestataire même si c’est un acteur clef de la gestion du patrimoine confié.
Dans ces conditions, il faut trouver un moyen pour s'assurer objectivement que :
- - La stratégie et les moyens mis en œuvre sont adaptés.
- - La prestation fournie permet de conserver le patrimoine dans l’état souhaité par le client.
L’idée retenue consiste à créer au niveau de l’usine des indicateurs synthétiques sur la base de ceux habituellement utilisés au niveau des équipements.
Nota : il a été choisi de ne pas retenir un indicateur très classique comme le taux de rendement synthétique (TRS). En effet, la conception des usines de traitement d'eau comprend de nombreuses redondances : le TRS n’est alors pas assez sensible au niveau global pour refléter la disponibilité effective de chaque équipement.
Par ailleurs, dans de nombreux cas, en particulier celui du traitement des eaux usées, la quantité effectivement traitée ne dépend pas forcément de la disponibilité des équipements ou de leur performance. Par exemple, une période de temps sec suffit à faire chuter cette quantité, sans pour autant que la qualité de la fonction maintenance soit à mettre en cause.
Le taux de disponibilité synthétique
L’idéal serait de disposer d’un indicateur de mesure objective du niveau de conservation du patrimoine. L’objectivité indiscutable de cet indicateur est probablement inatteignable mais compte tenu de son importance il est essentiel de tenter de s’en approcher.
Il faut par ailleurs qu'il puisse être calculé automatiquement et produit autant de fois que nécessaire afin de suivre son évolution et vérifier la pertinence de la politique mise en place.
Le but premier de la fonction maintenance étant de rendre les équipements disponibles pour la fonction production, nous préconisons le suivi d’un « taux disponibilité synthétique » (TDS) de l’usine. Pour donner du poids aux équipements stratégiques de l’usine, ce TDS peut être calculé en faisant la moyenne pondérée de la disponibilité de chaque équipement par sa valeur et son niveau de criticité. Cette pondération permet également de rendre le TDS plus sensible qu’une simple moyenne.
\[ TDS = \frac{\sum (D_i \times C_i \times V_i)}{\sum (C_i \times V_i)} \]
Avec Di, Ci et Vi respectivement la disponibilité, la criticité et la valeur de chacun des n équipements de l’usine.
Il est à noter que cet indicateur intègre deux aspects :
- - Le niveau de conservation de l’usine (plus l’usine est en « bon état », plus elle est disponible).
- - La qualité de service apporté par l’organisation en lien avec la fonction maintenance (plus l’organisation est efficace, plus l’usine est disponible).
Dans une certaine mesure, il est possible de dissocier ces deux aspects en complétant le TDS de l’usine par deux autres indicateurs synthétiques pondérés de la même façon à savoir :
- - Le TMS ED : « Temps moyen synthétique entre deux défaillances » (aspect niveau de conservation de l’usine) :
\[ TMS\;ED = \frac{\sum (TMED_i \times C_i \times V_i)}{\sum (C_i \times V_i)} \]
Avec TMEDi, Ci et Vi respectivement le temps moyen entre deux défaillances, la criticité et la valeur de chacun des n équipements de l’usine.
- - Le TMS PR : « Temps moyen synthétique pour réparer » (aspect efficacité de l’organisation) :
\[ TMS\;PR = \frac{\sum (TMPR_i \times C_i \times V_i)}{\sum (C_i \times V_i)} \]
Avec TMPRi, Ci et Vi respectivement le temps moyen pour réparer, la criticité et la valeur de chacun des n équipements de l’usine.
Nota : les équipements sur une usine étant très nombreux, il est indispensable d’utiliser le système d’information de l’usine pour effectuer ces calculs en automatique. Toute approche manuelle serait fastidieuse et trop consommatrice de temps car le but est de visualiser l’évolution de ces indicateurs sur différents pas de temps (annuels, mensuels, ...).
Avec ces trois indicateurs synthétiques, le client et son prestataire disposent d’indicateurs automatisables et objectifs pour suivre l’évolution du site par rapport aux objectifs fixés en commun. La valeur absolue de ces indicateurs est secondaire car il y a peu de chance que la comparaison avec d’autres sites soit pertinente compte tenu des spécificités de chacun.
Disposant ainsi d’indicateurs de résultats objectifs, il reste alors à fixer les valeurs à atteindre dans le cadre d’une démarche cohérente de gestion du patrimoine.
La certification ISO 55 001
Chaque cas étant unique, il est nécessaire de s’adapter à chaque contexte pour répondre aux besoins exprimés par toutes les parties prenantes.
Pour définir la politique de gestion du patrimoine correspondante, un cadre de travail structuré est désormais disponible : la norme ISO 55 001 relative à la gestion des actifs.
Applicable à tous types d’équipements, d’organisations et de cultures, elle propose un système de management qui a pour vocation :
- - D’installer un mode de gouvernance adapté intégrant toutes les parties prenantes.
- - De définir la politique souhaitée (équilibre entre coûts, risques et performances).
- - D’identifier des actions d’amélioration dans le cadre d'une démarche de progrès continue.
- - De mettre en œuvre un contrôle effectif.
- - D’atteindre durablement les objectifs définis.
- - D’être audité par des organismes tiers selon un référentiel reconnu.
- - Etc.
Obtenir une certification ISO 55 001 est
... donc l’objectif de moyen complémentaire idéal à des objectifs de résultats. Dans le cadre de ce système de management, toutes les parties prenantes peuvent partager et suivre la politique de gestion du patrimoine tout en laissant au prestataire la latitude nécessaire pour faire valoir son professionnalisme et son expérience.
Les conditions sont ainsi réunies pour que le client ait l’assurance que son patrimoine est géré par son prestataire à l’optimum technico-économique dans le cadre d'une relation contractuelle rentable et donc durable.
Conclusion
L’approche présentée montre que des outils pratiques sont disponibles pour fournir une prestation présentant le meilleur rapport « qualité/prix » et pour le client de s’en assurer. Dans un premier temps, l’utilisation de trois indicateurs de performance complémentaires (organisationnelle, technique et économique) permet :
• Au stade de l’offre, de chiffrer des prestations au plus juste mais suffisantes pour garantir le maintien du patrimoine conformément aux attentes du client.
• En opération, de fournir des éléments de comparaison entre sites pour partager les meilleures pratiques et ainsi améliorer la performance organisationnelle qui sous-tend la performance technique et économique.
Ensuite, la transposition au niveau d’une usine de concepts habituellement utilisés au niveau des équipements permet d’assurer le client que le patrimoine qu'il a confié est maintenu comme souhaité.
En effet, les indicateurs habituels de disponibilité, de temps moyen entre deux défaillances et de réparation permettent de calculer au niveau de l'usine des indicateurs de résultats synthétiques, objectifs et automatisables.
Enfin, la parution de la norme ISO 55 001 relative à la gestion des actifs offre désormais un système de management reconnu afin de définir une stratégie, des objectifs et s’assurer de leur atteinte dans le cadre d'un cycle d’améliorations continues.
Il faut ainsi souhaiter que cette norme parue en janvier 2014 sera mise en œuvre largement car elle constitue une opportunité pour que les clients, propriétaires des usines, aient la garantie d'une gestion efficiente de leur patrimoine par des prestataires sélectionnés sur leur professionnalisme dans le cadre d’une relation « gagnant-gagnant ».