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Quand le Sahara regorgeait d'eau...

30 avril 2016 Paru dans le N°391 à la page 120 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET

Le Sahara n'a pas toujours été un désert. Il y a moins de 8.000 ans, il était couvert de grandes et luxuriantes forêts et abritait de nombreuses populations. C'était avant que ne démarre le processus de désertification qui fait aujourd'hui de cette région l'une des plus inhospitalières de la planète.

C’est l'un des déserts les plus vastes du monde.

Une gigantesque étendue de sable de plus de 8 millions de km² qui traverse l'Afrique de part en part sur une dizaine de pays, de l’Atlantique à la Mer Rouge et de la Méditerranée au sud du tropique du Cancer.

Sur ces étendues arides, les températures diurnes très élevées dépassent couramment 50 °C et l’amplitude thermique entre le jour et la nuit est bien souvent supérieure à 40 °C. Les précipitations, rarissimes, sont aussi variables. La partie la plus septentrionale du Sahara, soumise aux influences méditerranéennes, reçoit chaque année moins de cent millimètres d’eau. Plus on progresse vers le sud, plus les précipitations s’affaiblissent, n'atteignant, dans les endroits les plus arides, que cinq millimètres en moyenne, certaines régions pouvant rester plusieurs années sans pluie. Lorsqu’elles surviennent enfin, elles prennent souvent la forme d’averses brutales, générant des torrents d’eau qui ruissellent dans les oueds, ces lits d’anciens fleuves presque toujours secs. Car Al-Saharra — désert en arabe — n’a pas toujours été aride… Témoignage de ce passé climatique tumultueux, le trésor qui gît sous le Sahara abrite l’une des plus grandes réserves d'eau douce du monde.

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[Photo : Lorsqu’elles surviennent enfin, les pluies prennent souvent la forme d’averses brutales, générant des torrents d’eau qui ruissellent dans les oueds, ces lits d’anciens fleuves presque toujours secs.]

Pascal Ratan

L’une des plus grandes réserves d’eau douce du monde

La formation du Sahara remonte à celle de la croûte terrestre. Comme partout ailleurs sur la planète, une activité tectonique et volcanique intense va former les premières montagnes qui subiront ensuite de fortes érosions. Il y a plus de 400 millions d’années, suite à la dérive des continents et à une glaciation, les eaux envahirent peu à peu ce qui constitue le Sahara aujourd’hui, déposant des sédiments importants et variés. Ainsi se forment les futurs grès, que l’on retrouve aujourd’hui sur les hauts plateaux. Il y a près de 200 à 250 millions d’années, une végétation abondante de type tropical se développe, favorisée par une période climatique plus humide. Vers 60 millions d’années, la mer se retire, laissant des couches importantes de sédiments. C'est à la suite de l’activité sismique et volcanique de cette période que l’on doit l’apparition de la région élevée et contrastée du Hoggar. Cette succession de variations climatiques, alternant climat sec puis humide, subissant les vents et l’érosion des eaux, laisse des accumulations variées et façonne peu à peu le visage du Sahara.

Plus près de nous, il y a 8000 ans, le Sahara était encore parsemé de lacs et de grands fleuves tel le Tafassasset. Alimenté par de nombreuses sources, il était le plus grand fleuve du Sahara central. Il coulait du nord au sud-est et après un parcours de 1500 km se jetait dans la cuvette du lac Tchad. Avec l’Igharghar, long de 1300 km, qui prenait naissance dans l’Atakor pour terminer sa course dans le chott Melghir, ils sont les témoins fossiles de l’impressionnant réseau d’eau du Sahara des temps anciens. La faune et la flore y étaient abondantes. Des crocodiles lézardaient sur les rives. Éléphants, phacochères, buffles, girafes, antilopes, se partageaient alors un immense territoire. Les lacs, très nombreux, regorgeaient de poissons et de tortues. Cette région du monde était alors très favorable à la vie. Les premiers chasseurs-cueilleurs et éleveurs de bovins ont laissé divers témoignages de cette luxuriance : outillages de pierre, céramiques, pointes en os mais aussi des gravures rupestres qui attestent que les hommes vivaient dans le Sahara. Ces images rupestres sont largement répandues dans tout le Sahara : on les rencontre du désert nubien de l’Égypte jusqu’au Sahara occidental. Plus de 20000 sites ont été recensés. Tandis que les gravures apparaissent presque n’importe où, les peintures rupestres sont confinées à peu près aux massifs montagneux du Sahara central.

De nombreux gisements témoignent de la riche végétation qui recouvrait alors le Sahara. Ainsi, dans la région d’Inghar, on peut encore apercevoir aujourd’hui une forêt de bois pétrifié abritant des arbres silicifiés dont certains atteignent près de 40 mètres de long sur 1 mètre de diamètre. Certains chercheurs pensent qu’ils dateraient de 60 à 80 millions d’années ; d’autres avancent 200 millions d’années. La région d’In Salah est également un véritable musée à ciel ouvert. On peut y découvrir des fossiles marins remontant à l’ère primaire (350 millions d’années), des vers de mer, des moulages d’oursins, de cétacés marins (141-65 millions d’années), etc. Des fossiles qui attestent bien que la région a connu autrefois une luxuriance amazonienne sous un climat beaucoup moins rude que celui qu’elle connaît actuellement.

C’est à cette période que se sont peu à peu constituées les gigantesques nappes d’eau fossile dont le volume est actuellement estimé à 60000 milliards de m³.

On sait aujourd’hui que c’est aux alentours de 5000 av. J.-C. que le Sahara commence à devenir aride. Ce processus est déjà bien avancé vers l’an 2000 av. J.-C.

[Photo : Les gravures rupestres sont largement répandues dans tout le Sahara : on les rencontre du désert nubien de l’Égypte jusqu’au Sahara occidental. Plus de 20000 sites ont été recensés.]
[Photo : Le bassin aquifère Saharien est l’un des plus grands du monde. Situé sous les territoires Algériens, Tunisiens et Libyens, il est constitué de deux dépôts sédimentaires, le complexe terminal et le continental intercalaire. Les deux systèmes aquifères font l'objet d’une exploitation intensive pour satisfaire aux besoins de l'agriculture, de l'industrie pétrolière et à ceux de la population.]

et l'époque romaine correspond à peu près à la situation actuelle. Une étude menée par des chercheurs de l'université de Cologne (Allemagne) révèle que ce processus a été très progressif et s'est étalé sur plusieurs milliers d'années.

Un processus très progressif

Le lac Yoa est situé aux confins de l'Ennedi, à 1000 kilomètres au nord-est de la capitale tchadienne N'Djaména, dans l'un des secteurs les plus arides du Sahara central. Il est l'un des derniers lacs permanents du Sahara, protégé de l’assèchement grâce à des apports constants d’eaux souterraines qui compensent l'évaporation intense. L'existence de lacs permanents dans la zone hyperaride du Sahara central, plusieurs milliers d'années après que les eaux souterraines de la région aient été rechargées, est un phénomène exceptionnel. Le lac Tchad par exemple, beaucoup plus vaste, a été asséché à plusieurs reprises au cours des derniers millénaires. Du coup, ses archives sédimentaires ne donnent que des informations fragmentaires sur l'histoire climatique de la région. L'assèchement des lacs, l'érosion, ainsi que la disparition de tous les végétaux ont beaucoup perturbé l'accès aux indicateurs paléo-environnementaux. D'où l'intérêt particulier du lac Yoa qui a conservé sous ses 24 mètres d'eau, les archives complètes des derniers millénaires.

Malgré sa faible surface – 3,5 km² – l'accumulation des sédiments y a été si régulière que les variations saisonnières sont facilement repérables. Une équipe internationale s'est donc attachée à comprendre les causes et le déroulement de ce changement climatique majeur en analysant le contenu de trois carottes sédimentaires extraites jusqu'à 9 mètres sous le fond du lac. La présence ou l’absence d'insectes ou de diatomées, les variations du taux de salinité, l'identification et le comptage des pollens, des spores, de sables et de poussières dans les carottes ont permis de mieux comprendre le lent processus de désertification qui s’est mis en place il y a quelques milliers d’années.

Les chercheurs ont ainsi pu observer une première diminution des pollens de graminées il y a 4800 ans. Ce premier indice est suivi, un millier d’années plus tard, de l'arrivée progressive de grains de sable dans les sédiments. C'est à cette époque qu'apparaissent également les premiers pollens de plantes de zones arides, trahissant la lente évolution du climat. Un peu plus tard, entre 4200 et 3900 ans survient une brusque augmentation de la salinité marquant la fin de l'approvisionnement du lac en eau douce par les rivières qui se sont sans doute asséchées à cette période. L'ensemble des résultats observés dessine une séquence écologique très progressive de l'humide vers l'aride, réfutant l'hypothèse généralement admise par les scientifiques selon laquelle le climat humide qui existait au Sahara il y a 10000 ans a pris fin brutalement. Les chercheurs en concluent logiquement que l'aridification du Sahara est liée à un affaiblissement progressif des pluies de la mousson atlantique qui a eu lieu entre 5600 et 2700 ans.

Mais l'histoire n’est pas terminée. Les scientifiques estiment que le réchauffement climatique pourrait renforcer les moussons et favoriser un nouveau reverdissement du Sahara. Au sud-ouest de l'Égypte et au nord du Soudan, on observe l'apparition de nouveaux arbres, comme des acacias. Au Sahara occidental, les nomades n’ont jamais eu autant de pluie et de zones de pâturage que ces dernières années. Des troupeaux paissent dans des régions qui n’avaient pas été habitées depuis des centaines, voire des milliers d’années...

[Photo : Le lac Yoa est situé aux confins de l'Ennedi à Ounianga Kebir, à 1000 kilomètres au nord-est de la capitale tchadienne N'Djaména, dans l’un des secteurs les plus arides du Sahara central. Il est l'un des derniers lacs permanents du Sahara, protégé de l’assèchement grâce à des apports constants d’eaux souterraines.]
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