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Quelles évolutions technologiques pour mieux garantir et pérenniser une gestion optimale des boues ?

28 février 2003 Paru dans le N°259 à la page 51 ( mots)
Rédigé par : Jean-philippe DELGENèS, Étienne PAUL et Patricia ARLABOSSE

Deux journées techniques sur la gestion optimale des boues d'épuration ont été organisées à l'INSA de Toulouse, les 4 et 5 juin 2002, sous le patronage de l'INSA, de l'INRA, du CNRS, de l'EMAC, de l'ARPE, de l'Agence de l'Eau Adour-Garonne et du Conseil Régional de Midi Pyrénées (Réseau eau-Environnement). Dans ce cadre, responsables de collectivités territoriales, professionnels des filières de traitement et d'élimination des boues, représentants d'organismes de recherche, du monde agricole et des industries agroalimentaires ont pu s'informer, débattre sur le sujet et ouvrir de nouvelles perspectives concernant la production des boues et les problèmes qui y sont associés, les réglementations futures, les récentes évolutions techniques pour mieux garantir et pérenniser une gestion optimale des boues'

Les boues d’épuration résultent du fonctionnement efficace des systèmes de traitement physico-chimique et biologique qui permettent l’épuration des effluents urbains. La directive européenne 91/271/EEC qui engendre une augmentation des volumes d'eaux à traiter et un rendement d’épuration plus élevé, a pour conséquence une augmentation de la production de boues. La production de boues devrait atteindre 10 millions de tonnes de matière sèche pour l'Union Européenne en 2005 dont 12 % pour la France. Les voies d’élimination actuelles reposent principalement sur l’épandage agricole, la mise en Centre d’Enfouissement Technique et l’incinération (ou co-incinération) avec une répartition en France d’environ 60 %-25 %-15 % respectivement. Le coût global de la gestion des boues (traitement et élimination) est estimé à 380 €/t MS soit la moitié du coût global du traitement des eaux. Il existe cependant de très fortes variations de ce coût spécifique au niveau local, notamment lorsque la valorisation agricole des boues est pratiquée.

Les différentes voies d’élimination sont soumises à des pressions et contraintes fortes, d'ordre technologique, social, réglementaire, économique et de disponibilité géographique... Dans ce contexte de doute et de perception négative des boues, il est plus que jamais important de favoriser la communication. Les rencontres nationales sur les boues visaient tout d’abord à faire un inventaire de la situation sur les technologies mais aussi sur les appréciations vis-à-vis des boues. Puis, au travers de débats associant

[Photo : La valorisation des boues, et notamment l’activité d’épandage en agriculture (devenir de 60 % des boues en France) n'a jamais été aussi encadrée, réglementée et nourrie de connaissances scientifiques non controversées.]

Des sensibilités variées, technologiques, scientifiques, mais aussi sociologiques, des solutions ont été proposées pour une gestion optimale des boues dans le respect du cadre réglementaire.

État de l'art et problèmes rencontrés

Incontestablement, la gestion optimale des boues de station d’épuration des eaux résiduaires urbaines mobilise ! Plus de trois cents personnes ont participé aux deux journées techniques organisées à Toulouse.

Mais qu'est-ce que la gestion optimale ? Plusieurs définitions pourraient être formulées. Il s'agit au minimum d’éliminer les boues tout en minimisant les transferts de pollution (vers le sol, l'air ou les milieux aqueux) et en préservant l'hygiène des populations. On pourrait ajouter des objectifs plus ambitieux tels que la valorisation de la matière (eau, nutriments, énergie) et la minimisation des coûts et en particulier de la dépense énergétique. Ce concept de gestion optimale nécessite une prise en compte intégrale des processus de fabrication (1), de conditionnement (2) et d’élimination des boues tout en recherchant l'acceptation par les populations. Qu’en est-il à l'heure actuelle ?

Fabrication des boues

La fabrication des boues a lieu au niveau de la filière de traitement des eaux résiduaires dans laquelle des cellules sont produites lors de la dégradation des polluants organiques et minéraux. À cette production, il faut ajouter l'accumulation de matières non biodégradables, ainsi que les réactifs rajoutés lors du traitement de l'eau (précipitation du phosphore…) et lors de la stabilisation de la boue (chaux, polymères…). Malgré une police des réseaux de plus en plus développée et efficace, le réseau, malheureusement trop souvent considéré comme un « tout à l'égout », véhicule des substances indésirables qui se concentrent dans les boues : les éléments traces métalliques (ETM) et les composés traces organiques (CTO). Du fait de l’origine des effluents traités, des micro-organismes indésirables peuvent également être présents (bactéries pathogènes, virus, parasites…). Ainsi, différentes questions se posent : peut-on maîtriser la qualité des boues lors de la fabrication ? peut-on réduire la production de boues ?

Conditionnement des boues

Le conditionnement des boues vise à concentrer et à stabiliser les boues. Une très grande diversité de solutions technologiques plus ou moins rustiques existe dont certaines ont été présentées : épaississement, déshydratation, stabilisation aérobie et anaérobie ou chimique, séchage… Que choisir selon les contextes ? Comment comparer les technologies, non plus seulement en termes de performances mais également en termes d'impact global sur l'environnement, de réduction du risque toxique ? Peut-on également donner pour objectifs à ces technologies d’hygiéniser les boues, d’éliminer les CTO, d’améliorer la structure des boues pour un stockage et une utilisation plus facile et plus rentable… ?

Valorisation des boues

La valorisation des boues, et notamment l’activité d’épandage en agriculture (devenir de 60 % des boues en France) n’a jamais été aussi encadrée, réglementée et nourrie de connaissances scientifiques non controversées (sur ce dernier point, se reporter à l’exposé de Mme Tercé). Les études scientifiques ont largement contribué à la définition d'une législation précise et adaptée qui permet d’exploiter la filière de valorisation agricole avec succès. De nombreuses études de caractérisation de boues ont apporté une connaissance détaillée de la qualité des boues (se reporter pour les boues urbaines aux exposés de M. Huyard et al. et de M. Lorthios ; pour les boues de traitement d’effluents vinicoles à l’exposé de Mme Leriche ; pour les boues industrielles de l'usine de pâte à papier Tembec Saint-Gaudens SA à l’exposé de M. Ott). Les exemples rapportés par M. Lorthios, de la Chambre d’Agriculture du Lot, pour l’épandage de boues urbaines et par M. Ott, de l'usine Tembec, pour les boues industrielles, montrent que le succès de la filière de valorisation agricole repose sur la capacité de produire une boue de qualité maîtrisée et contrôlée (traçabilité) dont les nuisances sont minimisées à chacune des étapes de la filière. Grâce à un dialogue permanent et positif, les contraintes induites ont été acceptées par les différents maillons de la chaîne traitement/élimination et par les citoyens.

Pourtant, la valorisation agricole fait paradoxalement l'objet de prises de positions hostiles vis-à-vis de l’épandage. À côté des problèmes critiques liés à la présence de composés traces dans les boues, d'autres problèmes sont susceptibles de donner une image dégradée de l’épandage : boues noires, odeurs, variation de pH du sol… De plus, la possibilité par exemple de perdre l'appellation d'origine (voir exposé de Mme Ognoïv, de l’Institut National des Appellations d’Origine) ou des difficultés rencontrées pour exporter les produits à l’étranger (voir intervention de M. Couteau, de la société Bonduelle) ont conduit à des interdictions d’épandage sur les terres productrices, puis à des autorisations sous réserve du respect d'un cahier des charges draconien. Se pose alors le problème du suivi, de la traçabilité et des coûts engendrés. Il s'est agi tout d’abord de développer des outils pour la caractérisation des boues (valeur agronomique, contenu en polluants), des produits (composts), des performances.

des procédés (compostages...) et du devenir des polluants au sein des milieux récepteurs. L’effort a été considérable. Néanmoins, M. Godon, de l’INRA de Narbonne, pose le problème de la pertinence du choix des cibles de micro-organismes pathogènes ou indicateurs et des méthodes de détection. Ensuite, se pose aussi la question des experts pouvant certifier le bon fonctionnement des filières. Enfin, le dialogue nécessaire pour l'acceptation des différentes contraintes par chaque personne concernée se heurte au problème de la multiplicité des intervenants : producteurs, MVAB, agriculteur, transporteur, collectivités, DRIRE, syndicats.

Les solutions proposées et débattues

Il s’agit en fait de garantir la qualité des boues et leurs intérêts tout en gérant une image.

Rigueur techniqueRigueur de concertation

Il ne doit pas y avoir de place pour les bavures, les imprécisions...

En ce qui concerne la valorisation agricole, trois éléments essentiels devraient être pris en compte. L’épandage doit être réalisé si et seulement si :

  1. (1) l'apport des boues est bénéfique pour le sol et les plantes sans transfert de pollutions possible.
  2. (2) la filière est professionnalisée. L’approche filière doit être privilégiée. La démarche doit être progressive : étude du plan d’épandage, enquête publique, autorisation provisoire puis permanente.
  3. (3) des solutions multiples sont élaborées et prévues comme par exemple l’épandage de boues liquides, pâteuses ou de compost voire des techniques alternatives à l'épandage.

La restauration de la confiance passe par le dialogue et la concertation au niveau local en mettant en place des lieux de discussion (mise en place de Comités départementaux sur les boues ?). La traçabilité doit être garantie et la transparence recherchée. Dans ce sens, le Syndicat des Professionnels du Recyclage en Agriculture (SYPREA) a mis au point un référentiel de certification des services d'épandage, véritable standard de référence.

L’analyse du cycle de vie réalisée par M. Houillon indique clairement que les bilans énergétiques et de gaz à effet de serre de l’épandage agricole ne sont favorables vis-à-vis des filières d’oxydation thermique que dans le cas de boues digérées. La réduction des micro-polluants à la source ou lors du traitement des boues doit également être recherchée. Il convient néanmoins de relativiser cette source de micro-polluants vis-à-vis des nombreuses autres origines (engrais, retombées atmosphériques, trafic routier).

Évoluer vers la notion de produit, démarche qualité

Les positions hostiles vis-à-vis de l'épandage conduisent souvent à mettre en place une filière de confection d’un produit labellisé. Les exemples présentés lors des rencontres nationales sont nombreux : programmes BioTerra pour la région de Narbonne (exposé de M. Tercinier) et VALORBIO pour l’unité de Castelnaudary (exposé de M. Martel) pour les boues urbaines ; programme CLAIRAGRA sur l’unité des papeteries Clairefontaine (Vosges) pour les boues industrielles (exposé de M. Martel)... La logique de qualité défendue par le SYPREA donne alors un cadre clair pour élaborer une démarche qualité pérenne.

Développer une analytique fiable, précise moins lourde.

Il convient, étant donné la complexité et la variabilité des matrices (boues, composts…) et les faibles concentrations à mesurer, de réaliser les analyses sur chaque lot de boues et de connaître systématiquement les seuils de quantification et les incertitudes d’analyses. Les laboratoires aujourd'hui ont adopté les principes de bonnes pratiques de laboratoire et sont généralement accrédités pour les analyses proposées. Il paraît nécessaire de développer des marqueurs notamment bactériens pour suivre l'impact sanitaire des boues. Le potentiel de certains outils de détection tels que les puces à ADN justifie une recherche sur ces outils notamment au niveau du choix de cibles à détecter et de leur pertinence en terme de pathogénicité et/ou d’indicateur (exposé de M. Godon). Devant l’ampleur des besoins de caractérisation, il paraît judicieux de rechercher à mutualiser les efforts de développement. Les coûts engendrés par les mesures nombreuses de caractérisation et par les procédures garantissant la traçabilité sont en effet élevés.

Améliorer les performances technologiques et les connaissances des procédés

Lors de la production des boues sur la filière de traitement des eaux, la priorité doit aller vers l'absence de rejets nuisibles dans le réseau par l'intensification de la police des réseaux et évidemment l'information auprès des citoyens. Une démarche originale consiste également à minimiser la production de boues lors de leur fabrication (ligne eau) en associant différents traitements tels que ceux proposés par la société Ondeo Degrémont (exposé de M. Déléris). Cette

[Photo : Une démarche originale consiste également à minimiser la production de boues lors de leur fabrication (ligne eau) en associant différents traitements. Cette approche fait l'objet de nombreuses recherches en laboratoire comme par exemple à l'INSA de Toulouse et à l’INRA de Narbonne.]
[Photo : Lors du traitement des boues, certaines technologies proposées sont capables d'améliorer sensiblement la qualité des boues en diminuant les concentrations en CTO]

approche fait l’objet de nombreuses recherches en laboratoire comme par exemple à l'INSA de Toulouse et à l'INRA de Narbonne.

Lors du traitement des boues, certaines technologies proposées sont capables d'améliorer sensiblement la qualité des boues en diminuant les concentrations en CTO (digestions aérobie et anaérobie thermophiles) (exposé de Mme Patureau) et les concentrations en organismes pathogènes (digestions thermophiles, compostage). Il convient, bien sûr, d’opérer ces procédés avec une extrême rigueur. Par exemple, lors d’une digestion thermophile ou d'un compostage, les courbes de température sur chaque lot doivent être enregistrées et consignées avec le plus grand sérieux afin de vérifier l’établissement effectif des conditions nécessaires à une réduction des organismes pathogènes. La validation de l’élimination de CTO nécessitera également des mesures spécifiques.

[Photo : Le séchage permet de réduire considérablement les volumes de boues et ainsi les coûts associés au transport et au stockage. Les minima techniques pour l’autothermicité en incinération peuvent alors être atteints]

Le séchage permet de réduire considérablement les volumes de boues et ainsi les coûts associés au transport et au stockage. Les minima techniques pour l'autothermicité en incinération peuvent alors être atteints. À titre d’exemple, le Pouvoir Calorifique Supérieur d'une boue urbaine méthanisée séchée est de l'ordre de 15 000 J/kg.K, valeur proche de celle du carton et très supérieure à celle des ordures ménagères. Une illustration pertinente de la faisabilité et de l'intérêt du séchage nous a été présentée par Monsieur Jalbert pour la station d’épuration des eaux industrielles et urbaines des pays d’Olmes (Ariège). De même, le séchage naturel sous serre (exposé de M. Maillot) ou la déshydratation, minéralisation obtenues par les procédés à macrophytes (exposé de M. Bonino) montrent que des procédés rustiques peuvent être développés pour les petites stations d’épuration. Vis-à-vis de la valorisation agricole, un résidu solide calibré peut être obtenu par séchage, par exemple de taille similaire à celle des fertilisants, facilitant ainsi son utilisation.

En marge des voies d’élimination classiques, de nouvelles voies de valorisation thermique se développent. La gazéification, la pyrolyse et l'oxydation en voie humide transforment totalement en gaz la matière organique contenue dans les boues. Il demeure alors un résidu essentiellement minéral. Des installations de grande taille comme l'unité de pyrolyse prévue à Graulhet (Tarn) (exposé de M. Delagnes) se développent. Il existe aussi une approche favorisant les procédés de petite taille et de proximité. Une des difficultés consiste à comparer les technologies et voies d’élimination. Le projet Ecoboues a été mis en place afin de quantifier, à partir de données issues d'installations existantes et via une méthodologie rigoureuse, les impacts environnementaux de ces nouvelles filières (oxydation en voie humide, pyrolyse, incinération en cimenterie) par rapport aux filières les plus utilisées à l'heure actuelle au niveau européen (épandage agricole, incinération sur lit fluidisé et mise en décharge) (exposé de M. Houillon). Cette approche de type Ecobilan devrait être davantage développée.

Elle nécessite cependant de préciser l’approche scientifique suivie afin de la rendre reproductible.

[Encart : Références bibliographiques Proceedings des Rencontres Nationales : Quelles évolutions technologiques pour mieux garantir et pérenniser une gestion optimale des boues. INSA Toulouse, 4 et 5 juin 2002. Contact : Etienne Paul ; e-mail : paul@insa-tlse.fr]
[Encart : À suivre dans le prochain numéro L’épandage des boues : exposés de MM. Tercé, Ott, Ognov]
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