Les eaux usées industrielles sont très différentes des eaux usées domestiques. Leurs caractéristiques varient d’une industrie à l’autre. En plus de matières organiques, azotées ou phosphorées, elles peuvent également contenir des produits toxiques, des solvants, des métaux lourds, des micropolluants organiques, des hydrocarbures. Certaines d’entre elles doivent faire l’objet d’un prétraitement de la part des industriels avant d’être rejetées dans les réseaux de collecte. Elles ne sont mêlées aux eaux domestiques que lorsqu’elles ne présentent plus de danger pour les réseaux de collecte et ne perturbent pas le fonctionnement des usines de dépollution. Le liquide faisant l’objet de notre recherche dans le pré-
[Photo : Montage expérimental utilisé pour le traitement des eaux usées industrielles et urbaines.]
Ce travail concerne le liquide de refroidissement utilisé dans un but industriel. Dans le domaine de la mise en forme des thermoplastiques par le procédé d’injection, l'amélioration de la qualité des pièces injectées ainsi que la réduction des temps de fabrication sont des objectifs essentiels pour les industriels. La production cyclique d'une pièce plastique se déroule sur plusieurs étapes, à savoir le remplissage de la cavité moulante, le maintien en pression, la solidification, et l’injection. La durée consacrée à la solidification (refroidissement) est évaluée entre 70 et 80 % du temps de cycle. Le fluide de refroidissement utilisé est en général l'eau ordinaire pour établir un écoulement à travers les circuits de refroidissement du moule afin de contrôler la température des surfaces métalliques en contact avec le plastique en train d’être moulé. Or, il s’avère que l'eau utilisée n’est pas de même qualité, elle change d’un site à un autre. Dans ce travail, nous nous sommes confrontés à une situation réelle d'une eau de refroidissement, caractérisée par une très forte augmentation de fer et de zinc, entraînant évidemment une augmentation de la DCO suite à l’oxydation du fer. Face à cette situation, nous avons été amenés à développer au laboratoire un système d'infiltration-percolation en utilisant des colonnes de sables marins, mâchefers et cendres volantes. Nous avons choisi ce genre de filtre naturel pour la simplicité de sa mise en œuvre, et surtout pour son efficacité et son rendement de purification. Notre recherche a été axée principalement d'une part sur une étude physico-chimique et surtout sur la réduction des métaux lourds contenus dans ce rejet liquide; et pour donner plus de valeur à notre étude, nous avons confronté nos résultats obtenus par ces lits filtrants à l’eau potable. Toutes nos analyses ont été effectuées par ICP (Inductively-Coupled-Plasma). Les métaux lourds que nous avons suivis sont le Cd, Cr, Cu, Fe, Zn, As.
Matériels et méthodes
Les échantillons de sables que nous avons utilisés dans nos expériences de filtration-percolation ont été prélevés le long du littoral de la ville d’El Jadida. Ces derniers ont été dans un premier temps soigneusement lavés et séchés à 40 °C dans une étuve, ensuite tamisés afin de déterminer leurs différentes tailles granulométriques, et finalement analysés par diffraction X pour avoir une idée très précise sur le taux de présence de la calcite et de la silice (AWW review, volume III, juin 2006) et par spectroscopie ICP (Inductance couplage plasma) pour s’assurer de l’absence de traces de métaux lourds. Notre choix s'est finalement focalisé sur quatre sables de même taille granulométrique 160 µm (cette taille a été choisie après une étude complète sur la détermination de la vitesse d’infiltration dans le même lit filtrant et, d’après nos travaux antérieurs sur ce sujet, plus la vitesse d’infiltration est lente, plus le temps de rétention est bon d’où meilleure purification) mais dont le taux de silice et de calcite varie d’un sable à l'autre. Le montage expérimental que nous avons utilisé est schématisé sur la figure 1 : il s’agit d'une colonne verticale de 6 cm de diamètre et de 50 cm de hauteur. Le lit filtrant est constitué, dans l’ordre, d’une couche de sol agricole de granulométrie adéquate sur laquelle est entassée une autre couche de sable bien nettoyé et tamisé. L’alimentation du système se fait exclusivement par des eaux usées industrielles; l’écoulement se fait en percolation à travers le substrat.
Résultat et Discussion
Les eaux usées à traiter sont de caractère industriel. Ces dernières ont été analysées soigneusement par ICP (Inductance couplage plasma) et ont montré la présence de plusieurs éléments très toxiques et de traces de métaux lourds. Le tableau 1 présente en ppm le taux de présence de quelques éléments très toxiques détectés dans le liquide de refroidissement industriel, que nous avons utilisé dans nos expériences, dans leur état brut avant traitement.
Dans le tableau 2, nous avons exposé la valeur, en ppm, de présence de ces mêmes
Tableau 1 : analyse par ICP avant traitement
| Métaux lourds (les plus toxiques) |
Résultats d’analyse par ICP de l’eau de refroidissement industrielle (ppm) |
| Cd | 0,0065 |
| Ni | 0,0793 |
| Cu | 0,0167 |
| Fe | 13,026 |
| Pb | 0,0178 |
| Zn | 0,9604 |
| As | 0,0430 |
Tableau 2 : analyse par ICP de l’eau de refroidissement industrielle après traitement
| Métaux lourds |
Eau potable (ppm) |
Eau purifiée par le filtre (ppm) |
| Cd | 0,0040 | <0,0001 |
| Ni | 0,0020 | <0,0001 |
| Cu | 0,0036 | <0,0001 |
| Fe | 0,0200 | <0,0001 |
| Pb | 0,0801 | <0,0001 |
| Zn | 0,0020 | <0,0001 |
| As | 0,0430 | <0,0001 |
Les métaux lourds dans le filtrat obtenu après filtration. Pour valider les résultats obtenus, nous avons jugé utile et intéressant de faire une comparaison avec l’eau potable, que nous avons aussi analysée par ICP (voir colonne 2 du tableau 2).
Filtre : sable de taille granulométrique 160 μm, avec 61,14 % de silice et 19,27 % de calcite.
Les figures ci-dessous permettent de mieux visualiser les valeurs en ppm de chaque métal lourd.
[Photo : Figure 2 : Évolution du cadmium avant et après traitement des eaux étudiées.]
Le cadmium est principalement associé au zinc. La structure électronique des derniers niveaux d’énergie de l’atome de cadmium (4d¹⁰)(5s)² permet la formation d’ions Cd²⁺ par perte des deux électrons (5s)² et de deux liaisons iono-covalentes (CdS). Le cadmium métal est peu réactif. Il réagit lentement à l’air humide et, en chauffant, avec l’oxygène, le soufre, le phosphore et les halogènes. Il est attaqué par les acides non oxydants. Il est très semblable au zinc avec un rayon ionique plus important (151 pm pour le métal en coordination 12 et 95 pm pour Cd²⁺). Nous remarquons que le filtre que nous avons utilisé a permis l’élimination presque complète du cadmium.
[Photo : Figure 3 : Évolution du zinc avant et après traitement des eaux étudiées.]
Le zinc est présent naturellement dans l’air, l’eau et le sol mais les concentrations en zinc sont non naturelles du fait du rejet de zinc par les activités humaines. La plupart du zinc est rejeté par les activités industrielles, telles que l’exploitation minière, la combustion du charbon et des déchets et l’industrie de l’acier. La production mondiale de zinc ne cesse d’augmenter, ce qui signifie que de plus en plus de zinc se retrouve dans l’environnement. L’eau est polluée au zinc du fait de la présence de grandes quantités dans les eaux usées des usines industrielles. Ces eaux usées ne sont pas traitées de façon satisfaisante. L’une des conséquences est que les fleuves déposent des boues polluées en zinc sur leurs rives. Le zinc peut aussi augmenter l’acidité de l’eau. Certains poissons peuvent accumuler le zinc dans leur organisme lorsqu’ils vivent dans des eaux contaminées en zinc. Nous constatons dans cet histogramme que le filtre utilisé a totalement éliminé ce métal.
[Photo : Figure 4 : Évolution du plomb avant et après traitement.]
Le plomb que l’on peut trouver dans l’eau du robinet ne provient pas, comme on peut parfois le penser, d’une pollution des ressources en eau dans la nature (cas relativement rare), mais de la mise en suspension de particules issues des canalisations, et plus particulièrement des aménagements intérieurs des habitations. Sur le réseau public de distribution, on ne trouve plus que les branchements (points qui relient les canalisations d’eau potable).
[Photo : Évolution de fer avant et après traitement.]
aux habitations) qui peuvent être en plomb, car lors des travaux d’entretien ou de renouvellement, les canalisations sont remplacées par d’autres matériaux comme le polyéthylène.
La pollution vient donc surtout de la tuyauterie intérieure des habitations, qui est encore souvent en plomb et dont la longueur, en comparaison à celle du branchement, est nettement supérieure.
L'eau, lors de son passage dans un tuyau en plomb, va mettre en suspension de fines particules de métal. Certains facteurs augmentent ce phénomène et donc la concentration de plomb dans l'eau : le temps de stagnation, la longueur du tuyau, la dureté de l’eau (les eaux calcaires freinent la solubilisation du plomb). La matrice que nous avons utilisée dans notre expérience a complètement éliminé ce métal très toxique.
Le fer est l'un des métaux les plus abondants de la croûte terrestre. Il est présent dans l’eau sous trois formes : le fer ferreux Fe²⁺, le fer ferrique Fe³⁺ et le fer complexé à des matières organiques (acides humiques, fulviques, tanniques, …). Son origine au niveau industriel peut s’expliquer par l’exploitation minière, la sidérurgie, la corrosion des métaux. Le fer confère aussi un goût métallique à l’eau rendant désagréable sa consommation. La filtration des eaux usées par le filtre que nous avons utilisé a permis une réduction de cet élément respectivement de 94,74 %. Cette élimination est due à des micro-organismes présents dans les sables.
L'arsenic est l’un des éléments métalliques les plus toxiques et le métalloïde le plus fréquent dans les eaux et les sols, du fait de la géochimie ou du fait des activités humaines (principalement les industries et les anciennes mines). L'arsenic est probablement le contaminant environnemental responsable des risques les plus élevés de morbidité et de mortalité à travers le monde, en raison de la combinaison de deux facteurs : son niveau de toxicité et le nombre de personnes exposées. La gravité du problème de l’arsenic dans les ressources en eau justifie les efforts de recherches et développement dédiés à la mise au point de procédés propres, peu coûteux et faciles à mettre en œuvre pour le traitement des eaux contenant de l’arsenic.
[Photo : Évolution du cuivre avant et après traitement.]
Le cuivre (Cu) provient principalement des rejets industriels comme le traitement de surface, l'industrie chimique et électronique. Le taux de ce métal, comme indiqué dans l’histogramme, est très faible dans le filtrat ; il s’agit donc d’un rendement épuratoire très important pour cet élément. La rétention du cuivre est due à sa fixation par la matière organique.
L'arsenic est l'un des éléments métal-
[Photo : Évolution de l'Arsenic (As) avant et après traitement.]
Le nickel est un élément abondant dans la nature. Il peut se présenter sous la forme d’un métal blanc-bleuâtre, brillant, malléable et facilement déformable ou sous la forme d’une poudre grise. C’est un bon conducteur électrique et thermique, doué de propriétés magnétiques. À température ordinaire, il n’est pratiquement pas attaqué par l’oxygène.
Le nickel peut être associé à d'autres métaux tels que le fer (par exemple pour former des aciers inoxydables), l’aluminium, le cuivre, le chrome, le cobalt, le molybdène et le zinc, pour former des alliages et améliorer les propriétés mécaniques et la résistance à la corrosion et à la chaleur. Les applications de ces alliages sont très diverses : ustensiles de cuisine, pièces de monnaie, boutons, mécanique automobile, aviation, agroalimentaire, plomberie. Le nickel sert de revêtement de protection pour les surfaces métalliques et
[Photo : Figure 8 : Évolution du Nickel (Ni) avant et après traitement.]
[Photo : Figure 9 : Comparaison des teneurs en métaux lourds avant et après traitement.]
céramiques), etc. Notre méthode de traitement a donné un très bon abattement de ce matériau.
L'histogramme de la figure 9 donne directement une comparaison et un résumé très significatif des résultats très positifs, d'où le bon rendement et le pouvoir épurateur de la matrice filtrante que nous avons utilisée.
Les pourcentages moyens d’élimination des différents éléments toxiques par la matrice filtrante que nous avons utilisée dans nos expériences varient de 89,12 % à 99,64 %.
L’étude de la DCO, la conductivité et l’évolution du pH, de l'eau usée industrielle avant et après filtration percolation est donnée par les histogrammes de la figure 10.
La demande chimique en oxygène (DCO) est la quantité d’oxygène nécessaire pour oxyder la matière organique et inorganique oxydable contenue dans l'eau à l'aide d'un oxydant fort, qui est le bichromate de potassium.
Les eaux industrielles étudiées sont très chargées en matières organiques ; une grande partie de ces matières solubles et/ou particulaires a été retenue par le
[Photo : Figure 10 : Étude de la DCO, la conductivité et l'évolution du pH, de l'eau usée industrielle avant et après filtration percolation.]
lit filtrant. L'abattement de la demande chimique en oxygène (DCO) est de 80 %.
Conclusion
La filtration des eaux usées industrielles, comme le cas du liquide de refroidissement après usage sur des lits filtrants formés par les sables marins du littoral, donne des résultats très satisfaisants que ce soit au niveau caractérisation physico-chimique (pH, DCO, chlorures, orthophosphates et autres...), ou au niveau de la réduction très significative de la teneur en métaux lourds très toxiques détectés dans les eaux industrielles. Les analyses par ICP des filtrats obtenus par le filtre que nous avons utilisé ont montré le rôle primordial que jouent ces filtres naturels, très peu coûteux, qui pourraient être facilement utilisés dans les pays arides et semi-arides, particulièrement en Afrique, où le stress hydrique devient problématique. Les sables que nous avons utilisés pour purifier les eaux usées ont été revalorisés en les mélangeant avec du ciment pour fabriquer des lingots de béton.
[Encart : Références bibliographiques
• Littoral sand effects on wastewater filtration. AWW review, June 2006, page 10-12.
• The Role of Texture and Particle Size Distribution of Agricultural Soils in the Management of Water in Agricultural Irrigation. AWW review, April 2006, page 10.
• Treatment of domestic wastewater by infiltration percolation by sand. AWW review, October 2006, page 106.
• Reflux effect in the Vanadium phosphate hydrates structure. Acta Cryst, A63, S149, 2007.
• Irrigation management by sand filters. AWW review, August 2008, page 44.
• Revalorisation des cendres volantes dans le traitement des eaux usées industrielles de la ville d’El Jadida. Revue L'Eau, L’Industrie, Les Nuisances.
• Contribution au traitement par infiltration-percolation des lixiviats de la décharge publique contrôlée de la ville de Fès au Maroc. Revue L'Eau, L'Industrie, Les Nuisances.
• Caractérisations physiques et chimiques des eaux usées industrielles après filtration travers la matrice sol-sable en fonction de la taille granulométrique. Revue L’Eau, L'Industrie, Les Nuisances.
• Rétention des métaux lourds des eaux usées industrielles par filtration percolation à travers une couche sol-sable. Revue L'Eau, L’Industrie, Les Nuisances.]
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