L?IFTS a organisé à Paris le 4 avril dernier un séminaire sur la place et les enjeux des séparations liquides-solides et membranaires dans la réutilisation de l'eau qui a réuni 75 personnes. Les conférences et les échanges entre les participants ont été l'occasion de faire le point sur la place de cette nouvelle application, la Réutilisation de l'Eau Usée Traitée, la REUT, son contexte réglementaire, les aides financières pour soutenir les projets et d'avoir des présentations d'unités de REUT installées en milieu industriel ou en station urbaine montrant des technologies : ? de décantation gravitaire, de flottation, de filtration gravitaire sur tamis, sur toile, de filtration sur membranes, ? seules ou associées à des traitements préalables de conditionnement chimique (floculation, précipitation, oxydation) ou biologique (dégradation de matières organiques, carbonées, azotées, phosphorées), ? traitant des eaux urbaines, industrielles, des solutions salées, et impliquent souvent une désinfection, avant son nouvel usage. Nous résumons dans le présent article les points importants du séminaire.
- de décantation gravitaire, de flottation, de filtration gravitaire sur tamis, sur toile, de filtration sur membranes,
- seules ou associées à des traitements préalables de conditionnement chimique (floculation, précipitation, oxydation) ou biologique (dégradation de matières organiques, carbonées, azotées, phosphorées),
- traitant des eaux urbaines, industrielles, des solutions salées, et impliquent souvent une désinfection, avant son nouvel usage.
Nous résumons dans le présent article les points importants du séminaire.
Quand 30 % de toutes les eaux utilisées forment les eaux usées collectées et 10 % celles qui sont épurées, la REUT ne concerne à l'heure actuelle que seulement 2 %. Elle est réutilisée à des fins industrielles, agricoles ou domestiques. La REUT permet de réduire le volume d'eau prélevé au sein de la ressource, ce qui la préserve pour d'autres usages en particulier plus nobles ou plus sensibles (limite du déficit hydrique local ou saisonnier) et limite les coûts associés (pas de pompage de ce volume ni de distribution en réseau). Elle réduit les volumes des effluents entrants dans les stations d’épuration conventionnelles puisqu’ils sont traités au plus près de leur production. Leur épuration peut être plus simple car les polluants sont moins multiples et plus concentrés. Elle crée un débouché pour l'effluent quand son rejet est limité. Elle fournit une eau qui peut couvrir tout ou partie des besoins.
Le marché mondial de la REUT est estimé à 23 milliards de dollars pour 2015, concernera 28 millions de m³/j avec une progression de 10 à 29 % par an selon les continents. Son usage est à 57 % pour l'irrigation de terres agricoles ou paysagères, à 21 % pour des usages en industrie et à 9 % pour des usages d'eau non potable. Ces chiffres mondiaux ne s'appliquent pas à la France où la pression sur les ressources en eau est encore peu élevée.
Chaque secteur industriel utilisant de l'eau
et produisant des effluents peut développer la REUT. Elle mettra en œuvre des techniques extensives et intensives de purification selon les substances encore présentes après l’épuration de l’eau et selon la qualité que nécessite son nouvel usage. Les textes qui réglementent la REUT datent de 2007, 2008 et 2010. Certains d'entre eux sont déjà en révision. D’autres textes concernent l’amélioration de la dépollution ou la limitation d’émissions polluantes et renforcent l'intérêt de la REUT (voir encadré).
En France, les agences de l'eau soutiennent les projets de REUT par des subventions de 40 à 80 % ou des avances de 20 à 60 % selon que les projets sont prioritaires ou non, portés par des entreprises petites ou plus grandes. Les projets éligibles sont décrits dans leur 10ᵉ Programme d'intervention 2013-2018.
Pour s'engager dans un projet de REUT, 37 critères ont pu être listés. Ils forment une dizaine de spécialités, parmi lesquelles, la stratégie du projet, le contexte institutionnel, le montage, les techniques d’épuration et de réutilisation, la mise en œuvre, le suivi sanitaire, environnemental, l'économie et encore les hypothèses de choix de données manquantes.
Les meilleures filières pour l'utilisation rationnelle de l’eau et de l'eau usée traitée peuvent être recherchées en appliquant la méthode Water Pinch. Elle fait dresser des diagrammes des lignes d'opérations de procédés pondérées par des flux volumiques et massiques pour l'eau utilisée et la (les) substance(s) présente(s). Ainsi apparaissent les solutions pour consommer moins d’eau, d’énergie ou de réactifs, pour purifier et réutiliser l'eau et pour limiter les coûts d'investissement ou de fonctionnement.
L'eau usée est potentiellement une ressource qui contient plus de 99 % d'eau, mais aussi de substances chimiques ; l’eau usée urbaine contient 12 g N/hab/j, 2 g P/hab/j qui peuvent être minéralisés (azote ammoniacal, struvite) pour en être extrait et former une nouvelle matière première, produire de l’énergie ; la matière organique peut être digérée pour produire du biogaz puis de la chaleur ou de l'électricité.
De nombreux exemples de réutilisation d’eaux ont été présentés ainsi que des recherches en cours sur les équipements ou les procédés spécifiques de la REUT.
Exemples de réutilisation d’eaux pluviales - conception d’unités appropriées
Ces eaux se chargent de matières qu’elles emportent en ruisselant. Ce sont des MES souvent inférieures à 50 μm, matières organiques, hydrocarbures, métaux lourds... Elles peuvent être traitées au fil de l'eau lors de leur collecte ou après leur stockage en bassins d’orage dans des unités compactes intégrant dégrillage, floculation, décantation lamellaire, désinfection UV.
Collecte des boues en silo. Si la pollution soluble organique n'est que partiellement réduite, les MES et métaux sont totalement séparés. L'eau libérée est claire et assure divers usages industriels d’eau non potable.
Exemples de réutilisation d’eaux salée – d’eau de mer – développement d’un procédé
La flottation en colonne sous vide en eau salée produit un nuage de bulles micrométriques efficaces pour la séparation. Les microbulles s'agglomèrent aux MES avec parfois l'aide de molécules naturelles présentes et les rassemblent en tête de colonne dans une écume évacuée. L'eau clarifiée est recyclée en circuit fermé. La colonne peut être reliée à l'air ou à un autre gaz pour limiter l’oxydation ou augmenter l’oxygénation en éliminant le CO2. Des premières applications de ce procédé consommant très peu d’énergie se trouvent en récolte de micro-algues, élevages piscicoles, épuration d’eaux huileuses...
Exemples de réutilisation d’eaux par purification d’effluents salins
Les saumures, les éluats de régénération de résines, les concentrats riches en Ca et Mg peuvent être précipités à l'aide de produits de qualité alimentaire.
Une fois les insolubles riches en Ca et Mg séparés, la saumure de régénération est elle aussi régénérée. Le coût de ce nouveau procédé est évalué à moins d’1 €/m³ traité.
Exemples de réutilisation d’eaux par purification biologique et photochimique
Les rayons du soleil traversant une lame d'eau de quelques centimètres produisent des réactions de photodégradation, photosynthèse ou biofixation. Celles-ci, avec parfois l'aide de microflores spécifiques, agissent sur les MES, les bactéries ou les substances organiques, azotées, phosphorées, toxiques avec des efficacités plus ou moins importantes. La dégradation de certaines molécules est connue à l’échelle du laboratoire ou pour des solutions ou suspensions modèles.
Les perspectives du procédé sont dégagées, par exemple pour compléter l’épuration secondaire.
Une qualification de ce procédé qui n'utilise pas de consommable et très peu d’énergie (hors rayons solaires) est en cours à l’échelle pilote.
Exemples de réutilisation d’eaux après fractionnement – purification par ultrafiltration
Des eaux usées de cartonnerie riches en encre non dégradables sont concentrées sur des membranes minérales plus résistantes. Le filtrat contenant moins de 100 ppm de DCO est réutilisé en production. Le concentrat renfermant 98 % de l’encre et 25 % MS est lui aussi recyclé.
En papeterie, l’UF concentre les produits minéraux des sauces de couchage en excès. Le filtrat est réutilisé pour des nettoyages. Le concentrat riche en pigments est recyclé par dilution dans la sauce fraîche.
Des eaux huileuses (100 ppm d’hydrocarbures) sont épurées par UF sur membranes céramiques à moins de 15 ppm. Le filtrat est conforme aux normes de rejet en mer. Le concentrat représente seulement 5 à 10 % du volume initial et peut brûler.
Des saumures de trempage de produits alimentaires, ultrafiltrées, voient leur teneur en DCO réduite et leur durée de vie augmentée sans consommer de nouvelle eau. Des eaux usées, après épuration secondaire et filtration sur lit épais, sont traitées sur fibres creuses pour être réutilisées.
La maîtrise du colmatage lent et des nettoyages permet un taux de conversion élevé de 87 %. Un effluent textile épuré par voie biologique et oxydé mais restant coloré est ultrafiltré sur fibres creuses. La productivité a été étudiée sur 9 mois pour limiter le colmatage des membranes. Un effluent urbain en sortie de lit bactérien traité sur fibres creuses est limpide et désinfecté.
Exemples de réutilisation d’eaux avec l'aide de bioréacteur à membranes
Dans les unités BRM conçues à petite taille (100-500 eqhab) ou à très grande taille (plus de 200 keqhab), l’eau ultrafiltrée est produite par des membranes très souvent immergées à une qualité supérieure au niveau demandé par l’arrêté de 2010 (irrigation). Elle est équivalente à celle d'une « eau de baignade » sans atteindre la qualité « eau potable ».
Le retour d’exploitation de ces unités augmente, ce qui améliore la connaissance précise des meilleures conditions de production et des niveaux de performances ; les observations et les résultats de certains auteurs sont encore aujourd’hui parfois très différents.
Le couplage de BRM et de NF/OI est utilisé à l’étranger pour produire de l'eau potable souvent par mélange avec de l'eau de surface (ex : Singapour).
Le MBBR (Moving Bed BioReactor) épure l’eau par une biomasse fixée sur garnissage qui ne nécessite pas de recyclage de boue et consomme moins d’énergie que les bassins d’aération conventionnels. Il peut être couplé à l'UF pour recycler sur place l'eau traitée (ex : Darling Quarter ‑ Sydney).
Exemples de réutilisation d’eaux avec l’aide de bioréacteur anaérobie à membranes
Le couplage d'une digestion anaérobie et d'une UF dégrade la DCO jusqu’à 98 %, de manière très régulière, à partir d’effluents même très chargés (DCO à 15-250 g/L) et produit 15 % de biogaz en plus que le procédé simple.
Les membranes organiques capillaires limitent la perte de charge et la consommation d’énergie. Ce procédé a déjà 9 références industrielles en service à l’étranger depuis plus de 4 ans (alimentaire, bio-étha-)
nol) et d'autres en essais pilote en Europe.
L'eau traitée encore riche en matière soluble, N et P, peut-être :
* osmosée et réutilisée. Le coût de fonctionnement est encore élevé car le colmatage des membranes d'osmose demande des traitements et nettoyages chimiques,
* ou évaporée mais la forte concentration en ammoniac rend difficile la mise sous vide,
* « strippée » ; l'entraînement à la vapeur produit une solution d'ammoniaque valorisable mais engendre des coûts relativement élevés,
* précipitée si la charge en N et P est équilibrée, pour former la struvite, engrais valorisable.
Exemples de réutilisation d'eaux après fractionnement – purification par osmose inverse
Quand le rejet d’effluents est très limité voire impossible, l’OI permet de concentrer au mieux la pollution saline et de réutiliser le perméat en usine. Des éluats traités ont une conductivité réduite d'un facteur supérieur à 20 et sont réutilisables. Des rétentats d’OI peuvent être décarbonatés à la chaux. L'eau séparée est recyclable.
La déminéralisation par osmose inverse et par électrodésionisation vient en alternative à l’échange d’ions sur résines quand le rejet des éluats est limité. Elle ne demande pas de produits de régénération. L'eau séparée est recyclable.
Recherche et développement de filières adaptées à la REUT
Plusieurs projets sont menés pour qualifier des filières spécifiquement pour cette application.
Projet NOWMMA
Étude de la filière de réutilisation d'eaux usées adaptée au contexte français et exportable dans le bassin méditerranéen. Elle comprend, au-delà de l'épuration secondaire, une purification par filtration sur lit épais ou par filtration sur membrane avant un stockage de l'eau traitée couplé ou suivi d'une désinfection UV. La purification doit éliminer les MES, les pathogènes (3 log ou plus de 4 log) et la matière organique seulement en partie. Des essais pilotes sur 2013-2014 dégageront les performances techniques pour l’évaluation économique.
Projet AquaFit4Use
Étude de filières de traitement d'eaux usées industrielles pour les rendre réutilisables sur sites papetiers, chimiques, textiles ou agroalimentaires, tous gros consommateurs d'eau.
Dans les sites papetiers, la fermeture des circuits d'eau est déjà en service depuis plusieurs années ; les techniques séparatives assurent la clarification de l'eau. Mais la concentration des matières solubles provoque des surconcentrations et des dépôts qui compliquent l'exploitation.
Pour poursuivre la réduction de consommation d'eau, la filtration des MES doit être améliorée pour limiter le colmatage des filtrations membranaires en aval. Elle a été étudiée en filtration en profondeur sur écheveau de fibres multi-lobes. La réduction de turbidité et des MES est observée à environ 50 % sur unité pilote, ce qui amène les MES à moins de 10 mg/L.
Les rétentats de séparation membranaire très riches en carbonates et en calcium, peuvent être adoucis pour valoriser l'eau de ces solutions en atelier de production de papier, après séparation membranaire ou évaporation. L'adoucissement par précipitation de la dureté (réduction de plus de 95 % du Ca²⁺) et de l'alcalinité (réduction de plus de 75 % du CaCO₃) par addition de chaux et de carbonate de sodium puis la décantation lamellaire sont optima à pH 10,5.
L'eau clarifiée peut être purifiée par nanofiltration avec un taux de conversion élevé, supérieur à 80 %.
La même précipitation appliquée à une eau usée provenant d'une épuration anaérobie est tout aussi efficace et n'est pas limitée par la plus forte présence de matières organiques, ceci rend viable la clarification par membrane en aval.
Projet LAGUMEM
Étude d'une filtration membranaire pour traiter l'eau de lagunes et la rendre réutilisable en irrigation en diminuant son temps de séjour. Des essais pilote seront conduits jusqu'en 2014 pour qualifier le système de filtration sous pression sur membranes organiques planes dont le module est revu pour augmenter les turbulences internes et réduire le colmatage.
Projets PANACEE et NEOPHIL
Qualification de la dégradation des molécules médicamenteuses ou toxiques et de leurs produits de dégradation – Étude et qualification d'un procédé d'épuration couplant un bioréacteur à membrane et une adsorption, une oxydation ou une nanofiltration pour traiter des effluents hospitaliers. Les matériaux membranaires doivent être plus résistants par rapport aux fibres creuses traitant des eaux de surface, et plus hydrophiles pour limiter leur colmatage. De nouvelles fibres creuses PVDF ont été fabriquées. Elles présentent des
surfaces de pores mieux mouillées à l'eau grâce à des molécules polaires. Des essais pilote montreront leurs performances.
Conclusions
Les procédés connus en traitement d’eaux par séparations liquides-solides ou membranaires ou d’épuration biologique ont des contraintes techniques et économiques différentes quand on les applique à la REUT. Les projets de REUT en France ou en Europe se concrétisent quand le coût est supportable, quand la valorisation matière est importante ou quand la contrainte environnementale devient forte. Le retour sur investissement doit être court, souvent annoncé à moins de 2 ans. Selon les applications, il est parfois inférieur à 1 an, quand toutes les fractions sont valorisées.
À l’étranger, des applications sont plus avancées. Elles touchent tous les consommateurs pour le rechargement de nappes, la production d’eau de consommation humaine, ou concernent seulement les industriels (production d’eaux de procédés).
Les séparations liquides-solides ou membranaires sont quasiment toujours nécessaires pour la REUT. Leur choix est très sensible puisqu’elles engagent les coûts des projets. L’approche expérimentale est quasi-obligatoire tant la composition des effluents produits et les enjeux économiques du site industriel ou urbain sont variables.
En qualifiant la faisabilité d’une technique à l’échelle du laboratoire, se dégagent les conditions opératoires nécessaires qui permettent de qualifier un projet de REUT et de choisir la filière la mieux adaptée.
Les moyens d’essais à l’échelle du laboratoire et d’études à l’échelle pilote de l’Institut de la Filtration et des Techniques Séparatives permettent cette démarche, en toute indépendance, dans le cadre des objectifs indiqués par le client.