Les concentrations de huit genres de Thécamibes présents dans les boues activées de la station d'épuration de Limoges sont étudiées dans les deux files A et B, puis dans les boues en excès épaissies et enfin dans les boues digérées. Des différences relatives de concentrations de chaque genre de Thécamibes apparaissent entre les files A et B, pourtant identiques au point de vue de la charge massique et du temps de séjour, mais différentes au point de vue des dates de conception et de construction. La traçabilité des carapaces de Thécamibes, leurs variétés de genres et de concentrations en font un remarquable et unique biomarqueur des boues activées dans la station, outil potentiellement précieux pour l'aide à l'exploitation.
La station d’épuration de Limoges possède quatre bassins de boues activées en parallèle de charge massique et de rendements épuratoires voisins, mais construits à des époques différentes faisant apparaître des facteurs de sélection de microorganismes qui résultent des détails de construction et d’équipements différents. Les quatre bassins de la station sont donc propices à l’observation de nuances de peuplement de microorganismes qui ont attiré l’attention de l’Office International de l’Eau de Limoges.
Les Thécamibes (Amibes à carapace) sont choisies plutôt que d'autres microorganismes parce qu’elles constituent une microfaune majoritaire, présente dans les quatre files, nombreuse et variée en espèces et qu’elles sont d’excellents bioindicateurs d'aérobiose et d’aération prolongée.
La station d’épuration de Limoges est caractérisée par :
- • absence de décanteur primaire ;
- • quatre files parallèles de boues activées, deux anciennes (A) et deux nouvelles (N), comportant chacune une zone anoxie, une zone anaérobie, une zone d’aération assurant nitrification, dénitrification et déphosphatation biologique ;
- • un épaississement des boues en excès sur table d’égouttage ;
- • deux digesteurs anaérobies méthanifères, un ancien et un nouveau.
une déshydratation et séchage du mélange des boues digérées sur Centridry®.
Tableau des données succinctes de la station
Moyennes septembre 2011
Tableau 1 : Boues activées dans les réacteurs biologiques
| File | A1 | A2 | N1 | N2 |
|---|---|---|---|---|
| Débit (m³/j) | 3458 | 3654 | 18783 | 18783 |
| Volume réacteurs biologiques (m³) | 6400 | 6400 | 25500 | 25500 |
| % recirculation | 400 | 395 | 200 | 200 |
| MES (g/l) | 2,76 | 2,57 | 3,08 | 2,83 |
| MV (%) | 73,2 | 73 | 70,9 | 71,1 |
| Charge massique | 0,062 | 0,073 | 0,075 | 0,081 |
| Boues excès (m³/j) | 32 | 32,7 | 1464 | 1414 |
Tableau 2 : Boues activées en excès épaissies et homogénéisées
| Débit (m³/j) | MS (g/l) | MV (%) |
|---|---|---|
| 221 | 40,6 | 72,6 |
Tableau 3 : Digesteur
| Digesteur « OTV » | Digesteur « 4 000 » | |
|---|---|---|
| Débit (m³/j) | 80 | 141 |
| Volume (m³) | 2200 | 4000 |
| MS (g/l) | 28,8 | 28,7 |
| MV (%) | 64,7 | 66,2 |
| Biogaz (m³) | 324,6 | Débitmètre hors service |
Tableau 4 : Boues digérées – mélange A et N
| Débit (m³/j) | MS (g/l) | MV (%) |
|---|---|---|
| 221 | 27,6 | 64,7 |
Les files N (nouvelles) traitent cinq fois plus de débit que les files A (anciennes). Les volumes des bassins biologiques sont quatre fois plus grands dans les files N que dans les files A. Les charges massiques des files A et N sont voisines, un peu plus élevées toutefois sur les files N. Il résulte de ces dimensionnements que la production de boues activées en excès est cinq fois plus élevée dans les files N que dans les files A. Il faut s’attendre à une prépondérance des biocénoses N dans les boues en excès épaissies, mélange de N et de A.
La biocénose des boues activées de la station
Les quatre files de boues activées étant exploitées à charge massique et à concentration des boues analogues présentent globalement un faciès écologique identique. On note la présence très remarquable de Vaginicola, Tardigrade, Rotifères, rares Péritriches coloniaux ainsi que le prédateur Cilié Prorodon. Des filaments bactériens existent dans les quatre files de boue à des concentrations non dangereuses pour la station, par ordre décroissant de fréquence 0041, 0675, Nostocoida limicola et Microthrix.
Mais le plus remarquable est la concentration élevée de plusieurs genres de Thécamibes formant dans les quatre cas la population majoritaire de microorganismes.
sus, c’est-à-dire l'ensemble des propriétés chimiques, physiques et biologiques de leur habitat n’est pas connu en détail.
Les quatre files de Limoges sont en somme un outil expérimental qui tend les bras à l'analyse.
Méthode d’examen des populations de Thécamibes
Les comptages et les identifications sont faits à partir d’une goutte de 0,05 ml de boues activées prélevées en fin de zone aérée. Les précisions des comptages sont de l’ordre de 20 % par rapport à la valeur indiquée.
Les grosses Thécamibes, plus rares, sont faciles à observer au grossissement × 40 ; les petites, très abondantes, sont observées au grossissement × 400 contraste de phase avec quelques difficultés dues à l’enfouissement dans le floc zoogléal.
Résultats des comptages des Thécamibes
Comparaison des deux files anciennes, ancienne file A (AFA) et ancienne file B (AFB)
Tableau 5 : Boues activées ancienne file A (AFA) et ancienne file B (AFB)
| AFA | AFB | ||||
|---|---|---|---|---|---|
| Thécamibe | nb/ml | % | Thécamibe | nb/ml | % |
| Pleurophrys | 53500 | 65,0 | Pleurophrys | 57200 | 61,50 |
| Pyxidicula | 13800 | 16,5 | Pyxidicula | 26500 | 28,50 |
| Arcella | 7200 | 8,7 | Arcella | 3100 | 3,30 |
| Cochliopodium | 4600 | 5,6 | Cochliopodium | 2000 | 2,10 |
| Euglypha | 1560 | 1,9 | Euglypha | 1560 | 1,60 |
| Microchlamys | 1000 | 1,2 | Microchlamys | 1500 | 1,61 |
| Trinema | 500 | 0,6 | Trinema | 1000 | 1,00 |
| Centropyxis | 0 | 0 | Centropyxis | 60 | 0,06 |
| TOTAL | 81860 | 100 | TOTAL | 92920 | 100,00 |
Huit genres sont observés par ordre décroissant de concentration : • Pleurophrys (Photo n° 1) ; • Pyxidicula (Photo n° 2) ; • Arcella (Photo n° 3) ; • Euglypha (Photo n° 4) ; • Centropyxis (Photo n° 5) ; • Trinema (Photo n° 6) ; • Cochliopodium (Photo n° 7) ; • Microchlamys (Photo n° 8).
Les valences écologiques des genres ci-dessus, c’est-à-dire l’ensemble des propriétés chimiques, physiques et biologiques de leur habitat n’est pas connu en détail.
Commentaire du tableau 5
• On remarque le même ordre de classement par abondance des différents genres de Thécamibes dans les files AFA et AFB. • Pleurophrys, majoritaire dans les deux boues activées, exploite l'intérieur du floc par ses pseudopodes fins. Pyxidicula, plus petites mais nombreuses, exploite la surface du floc par leurs pseudopodes courts. • On observe une présence discrète de Centropyxis.
• La microfaune non-thécamibienne est identique dans les boues des deux files : Vaginicola et Rotifères.
• Il y a peu de contraste entre les deux files en genres de Thécamibes. Les facteurs de sélection caractéristiques des terroirs AFA et AFB sont donc identiques.
• Une particularité intéressante pour son influence possible sur la biocénose est la couverture totale de la surface des bassins anaérobie et anoxie par des lentilles d’eau.
• Rotifères : 560/ml file B contre 120/ml file A.
Ces différences de proportions de peuplement thécamibien suggèrent des facteurs de sélection favorables à Microchlamys et Euglypha.
Tableau 6 : Comparaison des deux files nouvelles, nouvelle file A (NFA) et nouvelle file B (NFB) – Boues activées
NFA
| Pleurophrys : | 21 300 nb/ml – 40,8 % |
| Pyxidicula : | 17 800 nb/ml – 34,1 % |
| Centropyxis : | 5 400 nb/ml – 10,3 % |
| Euglypha : | 3 800 nb/ml – 7,2 % |
| Arcella : | 3 400 nb/ml – 6,5 % |
| Trinema : | 380 nb/ml – 0,7 % |
| Cochliopodium : | 0 nb/ml – 0 % |
| Microchlamys : | 0 nb/ml – 0 % |
| TOTAL : | 52 080 nb/ml – 100 % |
NFB
| Pyxidicula : | 31 200 nb/ml – 45,2 % |
| Pleurophrys : | 30 100 nb/ml – 43,6 % |
| Arcella : | 2 600 nb/ml – 3,7 % |
| Euglypha : | 2 600 nb/ml – 3,7 % |
| Centropyxis : | 1 000 nb/ml – 1,4 % |
| Trinema : | 500 nb/ml – 0,7 % |
| Cochliopodium : | 500 nb/ml – 0,7 % |
| Microchlamys : | 380 nb/ml – 0,5 % |
| TOTAL : | 68 880 nb/ml – 100 % |
Commentaire du tableau 6 :
• L’ordre de classement par abondance entre NFA et NFB est différent.
• Les deux genres dominants sont Pleurophrys et Pyxidicula dans les deux files.
• Euglypha et Centropyxis sont plus nombreuses et mieux réparties dans la file NFA que dans la file NFB.
• Cochliopodium et Microchlamys, insignifiantes en NFA, sont présentes en NFB.
• La microfaune non thécamibienne est plus concentrée dans la file B que dans la file A.
• Vaginicola : 880/ml file B contre 80/ml file A.
Tableau 7 : Comparaison des valeurs moyennes, nouvelles files (N) et anciennes files (A)
Moyennes des deux files A
| Pleurophrys : | 55 000 nb/ml – 63,0 % |
| Pyxidicula : | 20 000 nb/ml – 22,9 % |
| Arcella : | 5 100 nb/ml – 5,8 % |
| Cochliopodium : | 3 300 nb/ml – 3,7 % |
| Euglypha : | 1 560 nb/ml – 1,7 % |
| Microchlamys : | 1 250 nb/ml – 1,4 % |
| Trinema : | 750 nb/ml – 0,8 % |
| Centropyxis : | 30 nb/ml – 0,03 % |
| TOTAL : | 86 990 nb/ml – 100 % |
Moyennes des deux files N
| Pleurophrys : | 25 000 nb/ml – 40,4 % |
| Pyxidicula : | 24 000 nb/ml – 38,8 % |
| Euglypha : | 3 200 nb/ml – 5,1 % |
| Centropyxis : | 3 200 nb/ml – 5,1 % |
| Arcella : | 3 000 nb/ml – 4,8 % |
| Trinema : | 440 nb/ml – 0,7 % |
| Cochliopodium : | 250 nb/ml – 0,4 % |
| Microchlamys : | 190 nb/ml – 0,3 % |
| TOTAL : | 61 800 nb/ml – 100 % |
Commentaire du tableau 7 :
• Les deux groupes de files comparées A et N ont toutes deux Pleurophrys et Pyxidicula comme microfaune majoritaire.
• L’ordre de classement par abondance est différent entre groupe A et groupe N.
• Trinema, Arcella et Microchlamys sont plus nombreuses dans les files A que dans les files N.
• Centropyxis, très grosse Thécamibe, a un volume spécifique très important qui fait que la biomasse Centropyxis, bien que numériquement peu importante, a une influence sur la boue proportionnelle à son volume, donc non négligeable.
Tableau 8 : Comparaison des Thécamibes provenant des boues activées en excès mélangées et épaissies et des boues digérées mélangées issues des deux digesteurs
Boues activées en excès mélangées et épaissies
| Thécamibe | nb/ml | % |
|---|---|---|
| Pleurophys | 283 400 | 39,80 |
| Pyxidicula | 278 000 | 39,00 |
| Euglypha | 54 200 | 7,60 |
| Centropyxis | 44 000 | 6,10 |
| Arcella | 36 400 | 5,10 |
| Microchlamys | 13 000 | 1,80 |
| Trinema | 2 600 | 0,30 |
| Cochliopodium | traces | — |
| TOTAL | 711 600 | 100,00 |
Boues digérées mélangées
| Thécamibe | nb/ml | % |
|---|---|---|
| Pyxidicula | 210 000 | 67,0 |
| Euglypha | 36 000 | 11,5 |
| Pleurophys | 26 000 | 8,3 |
| Arcella | 23 400 | 7,4 |
| Centropyxis | 15 000 | 4,7 |
| Chlamydophrys | 2 000 | 0,6 |
| Trinema | traces | 0 |
| TOTAL | 313 000 | 100,0 |
Commentaire du tableau 8 :
La boue en excès épaissie des deux files N est prépondérante dans le mélange A+N. En négligeant l’apport des files A, nous pouvons rechercher le taux de concentration des Thécamibes au cours de l’épaississement par la table d’égouttage. Nous utilisons pour cela des Thécamibes aux carapaces non déformées par les pompages et manipulations. Il s’agit de carapaces minéralisées de Pyxidicula, Centropyxis, Arcella.
Taux de concentration dans la boue épaissie :
⇨ Pyxidicula — 278 000/24 000 = 11,5
⇨ Centropyxis — 44 000/3 200 = 13,5
⇨ Arcella — 36 400/3 000 = 11,3
Ces valeurs sont à comparer au taux de concentration des matières solides : 40,6/3 = 13.
Ces ordres de grandeur de concentration sont cohérents.
En ce qui concerne les boues digérées, mélange des deux digesteurs, on observe que :
⇨ Le profil des genres Thécamibiens n'est plus le même que celui des boues activées épaissies (entrant dans le digesteur). Une espèce non observée est rencontrée, Chlamydophrys. C’est que les boues digérées sont plus faciles à observer du fait de la lyse des flocs bactériens.
⇨ Pleurophrys, Microchlamys, Cochliopodium ont pratiquement disparu, ce qui est plausible puisque ces trois Thécamibes ont une carapace non minéralisée, mince et biodégradable. Elles ont été digérées avec leur carapace.
⇨ Les carapaces minéralisées des Thécamibes sont très visibles sans trace de leur protoplasme qui est digéré.
⇨ Certaines Thécamibes présentent une carapace noire. D’autres, grises, d’autres encore incolores. Les carapaces d'Euglypha et de Trinema restent incolores dans les boues digérées. Elles ne fixent pas le sulfure de fer (FeS) sur les membranes protéiques de leurs carapaces. Pyxidicula, Centropyxis et Arcella apparaissent noires dans les boues digérées, car leur membrane de carapace fixe FeS. On en rencontre quelques-unes grises, rares ; ce sont des carapaces d'individus introduits dans le digesteur depuis peu de temps et n’ont par conséquent pas eu le temps de se saturer en FeS.
⇨ Les concentrations en carapaces de Pyxidicula, Centropyxis et Arcella dans le digesteur sont différentes des concentrations dans la boue en excès épaissie. On devrait retrouver les mêmes concentrations puisque le volume extrait de boue digérée est égal au volume de boue en excès de boue entrant. Les rapports de concentration des Thécamibes dans boue entrante/boue digérée sont :
⇨ Pyxidicula — 278 000/210 000 = 1,3
⇨ Centropyxis — 44 000/15 000 = 2,9
⇨ Arcella — 36 400/23 400 = 1,5
Deux hypothèses peuvent expliquer les écarts entre ces valeurs :
⇨ La concentration en Thécamibes dans les boues activées au cours des vingt-cinq jours de remplissage du digesteur n’est pas la même que celle au moment du prélèvement instantané.
⇨ Des Thécamibes lourdes, telles que Centropyxis, ont décanté dans le digesteur et s'accumulent dans le sédiment du fond.
Carapaces de Thécamibes dans les boues digérées anaérobie
Les carapaces de certaines espèces de Thécamibes ont la propriété de fixer H₂S sous forme de FeS. La carapace devient alors noire. Il s’agit bien de sulfures car l'apport d’eau oxygénée H₂O₂ décolore instantanément les carapaces noires. Les photos ci-après montrent au petit grossissement une boue digérée avec des carapaces de Thécamibes.
bulles noires et la même boue après apport d'eau oxygénée. Les bulles d'oxygène pur, produites par la réaction sont visibles.
Conclusions
Le peuplement thécamibien des boues activées de la station de Limoges est composé de huit genres différents présents dans toutes les files et d'un genre rare dans une file ancienne.
Les microorganismes Protozoaires et Métazoaires sont les mêmes dans les quatre files. Leurs proportions et concentrations changent toutefois entre les files. L'ensemencement commun en protozoaires et métazoaires des quatre files par le retour en tête du filtrat de la table d'égouttage rend compte de la même biocénose dans les quatre files.
Les charges massiques, l'âge des boues et les concentrations des boues activées étant très proches dans les quatre files, les facteurs de sélection principaux des microorganismes sont les mêmes et la biocénose est donc identique. Toutefois, des différences constantes existent entre les files portant sur la concentration et la proportion des individus thécamiens. Les caractéristiques hydrauliques des bassins et sans doute des différences qualitatives de l'eau brute expliquent ces différences.
Les Thécamibes peuvent être utilisées comme bioindicateurs de fonctionnement de la station. Elles permettent le calcul du taux de concentration des boues au cours de l'étape d'épaississement.

