Le trichloréthylène et le perchloréthylène ont été très largement utilisés en industrie durant les cinquante dernières années. Ce sont aujourd'hui des polluants récurrents de nos nappes phréatiques où ils posent des problèmes de santé publique. Aujourd'hui traités par diverses techniques physiques ou chimiques, la voie biologique a jusqu'alors été très peu exploitée pour dégrader ces molécules. Cette voie semble pourtant prometteuse car les microorganismes impliqués et les voies métaboliques sont aujourd'hui mieux connus.
Parmi les solvants chlorés, les éthylènes chlorés sont les plus fréquemment rencontrés dans les nappes phréatiques. Le trichloréthylène (TCE) et le perchloréthylène (PCE) ont longtemps été utilisés pour le dégraissage des métaux et comme solvant industriel des colles, des encres et des peintures. Ils ont également beaucoup servi en tant qu’intermédiaire de fabrication des produits phytosanitaires, agent précurseur de fluide réfrigérant (HFC 134a) et pour le nettoyage à sec. Bien que la consommation des solvants chlorés en France ait fortement diminué au cours des vingt dernières années (-85 % par exemple pour le TCE), leur utilisation intensive durant la seconde partie du 20ᵉ siècle est à l’origine d’un lourd passif environnemental auquel nous devons faire face aujourd’hui. Ces polluants toxiques (tableau 1) sont souvent à l’origine de risque inacceptable pour la santé publique dans le cadre de la politique de gestion des sites pollués en France (Note ministérielle du 08/02/07). Ce risque peut être lié aux phénomènes d’inhalation de vapeurs toxiques et cancérigènes provenant de la nappe phréatique ou des sols. Il peut également être lié à un contact direct ou à l’ingestion de produit selon l’utilisation de l’eau de nappe.
De par la toxicité élevée de ces molécules, un risque inacceptable pour la santé
humaine peut parfois persister même si les concentrations dans l’aquifère ou les sols sont faibles. Ainsi, la présence des solvants chlorés dans l'environnement est un problème de santé publique et le marché français de la réhabilitation des nappes polluées par les éthylènes chlorés est en constante progression depuis près de cinq ans.
Comportement des solvants chlorés dans les nappes
À l'exception du chlorure de vinyle, les éthylènes chlorés sont tous plus denses que l'eau et, lors d'un déversement accidentel, ils pénètrent dans la nappe phréatique jusqu'à une couche imperméable où ils s'accumulent. Si la quantité de polluant est importante, cette accumulation a lieu sous forme de poches de produit pur qui constitue alors une zone appelée “zone source”. Selon la géologie du sous-sol, le polluant peut être dispersé à différents niveaux de l’aquifère, sous forme de multiples points d'accumulation. La localisation de ces zones sources nécessite une bonne connaissance de la géologie et de l’hydrogéologie locale et un diagnostic précis du site mais elle reste toujours difficile, en raison de la profondeur et de l'hétérogénéité géologique du sous-sol. Les solvants chlorés étant peu solubles, ces poches de produit pur se dissolvent alors lentement dans l’eau et sont entraînées par l'écoulement naturel de la nappe phréatique (figure 1). Ainsi, le panache est alimenté en continu par la zone source ce qui explique que les traitements ciblés sur le panache sont toujours extrêmement longs (plusieurs années) s’ils ne sont pas associés à une action curative au niveau de la source.
Un traitement toujours délicat
Historiquement, les premières opérations de traitement de nappe polluée par les solvants chlorés ont été fastidieuses. Il s’agissait le plus souvent de simples pompages couplés à un traitement d’eau en surface. Dans un tel contexte, la durée de traitement correspond aux temps nécessaires à la solubilisation complète du polluant de la zone source dans la nappe et à la migration de l’eau jusqu’au puits de pompage. Si la quantité de polluant au niveau de la source est importante (quelques centaines de litres) et l’hydrogéologie défavorable (faible perméabilité), un traitement par simple pompage peut durer plusieurs dizaines d’années.
En fait, l'expérience montre que la réduction du temps de traitement passe nécessairement par une action curative au niveau de la source ; plusieurs solutions sont alors disponibles. Lorsque la zone source est bien localisée et peu profonde, l'excavation des sols saturés en solvant est souvent la meilleure solution technico-économique. Malheureusement, la présence de bâtiments, d’infrastructures enterrées (réseaux, cuves, fondation...) ou la migration du polluant à grande profondeur rend souvent l’excavation impossible techniquement et/ou économiquement. L'oxydation in situ est une technique qui s’est largement développée ces dernières années pour le traitement des zones sources. Elle consiste à injecter un oxydant puissant (permanganate ou réactif de Fenton généralement) directement au cœur de la source pour détruire rapidement la majeure partie du polluant. Cette technique très efficace trouve toutefois ses limites pour le traitement des pollutions massives dans les sols peu perméables. De plus, les quantités d’oxydant nécessaires et donc le coût peuvent être importants car la majeure partie de l’oxydant est consommée par la matière organique du sol.
Le perchloréthylène et le trichloréthylène sont chimiquement stables dans les conditions d’environnement naturelles de la plupart des nappes phréatiques. Ceci explique pourquoi ces produits sont souvent retrouvés intacts plusieurs dizaines d’années après un déversement accidentel. Pourtant, les éthylènes chlorés sont biodégradables dans certains environnements particuliers, notamment en absence d’oxygène. Cette biodégradation est d’ailleurs très souvent mise en évidence lors de diagnostics de nappe où des intermédiaires de dégradation biologique sont très souvent détectés. Ce phénomène, appelé atténuation naturelle, est généralement lent, localisé à une partie du site et ne permet donc pas son épuration, même à long terme. Cette évolution biologique du TCE et du PCE qui entraîne parfois l'apparition de chlorure de vinyle, intermédiaire de biodégradation plus toxique que les polluants d'origine (tableau 1) est même souvent interprétée comme problématique au niveau du diagnostic. Cette analyse est faussée par l'objectif même du diagnostic qui vise à localiser, à quantifier les substances toxiques et à évaluer les risques potentiels pour l'homme. Ainsi, les PCE et TCE sont analysés ainsi que le dichloréthylène et le chlorure de vinyle mais les résidus ultimes de la biodégradation anaérobie que sont éventuellement l’éthylène ou l’éthane ne sont quasiment jamais dosés car non toxiques. Cette analyse incomplète peut amener à faire croire que le chlorure de vinyle est toujours le résidu ultime du processus biologique alors qu'il n’en est parfois qu'un intermédiaire.
Un potentiel biologique inexploité
Aujourd’hui, la possibilité de stimuler la microflore anaérobie dans le cadre de la dépollution globale d’une nappe est démontrée. Pourtant, ce potentiel microbiologique naturellement présent dans le sous-sol n'est quasiment jamais exploité en France. Ce retard peut s’expliquer par une réticence des différents acteurs liée au risque de formation du chlorure de vinyle.
On connaît le caractère biodégradable des éthylènes chlorés en condition anaérobie par les microorganismes du sol depuis le milieu des années 80 (Vogel et al., 1987).
Tableau 1 : Les valeurs réglementaires
Classement CMR (Union Européenne) |
Eau de consommation humaine (AM 11/01/2007) |
Eau de boisson (valeur guide OMS 2006) |
Air ambiant (valeur guide OMS 2000) |
Air: Valeur Limite d’Exposition (INRS 2006) |
Air: Valeur Moyenne d’Exposition (INRS 2006) |
Sans même connaître les espèces qui participaient exactement à ce processus, on observait déjà à l’époque la succession des molécules qui préfiguraient la voie de dégradation (figure 2). Les bactéries anaérobies n'utilisent pas les molécules chlorées comme source de carbone ni comme donneur d’électron, c’est-à-dire qu’elles ne cassent pas la molécule pour en récupérer l’énergie comme lors d’un processus classique de respiration aérobie. En effet, le processus respiratoire présente deux composantes importantes : une source d’énergie et un accepteur final d’électron de la chaîne respiratoire. Lors de la respiration aérobie, la source d’énergie peut être n’importe quelle molécule énergétique (sucre, acides gras…), et l’accepteur final est l’oxygène. Lors de la respiration anaérobie, il existe également différents types de substrats, mais l’accepteur final n’est pas l’oxygène. Dans le cas où le solvant chloré est l'accepteur d’électron, les microorganismes réalisent alors une respiration anaérobie, et ce type de dégradation microbienne est appelé déchloration réductive. À chaque étape, le processus respiratoire anaérobie retire un chlore de la molécule, et la dégradation de cette molécule par déchloration jusqu’à l’éthylène est possible.
Toutefois, cette chaîne de dégradation ne reflète pas la complexité microbiologique du système car très peu de bactéries connues sont capables de la réaliser en totalité. Les recherches menées au cours de ces dernières années permettent aujourd’hui de mieux connaître ces microorganismes et de les détecter dans l’environnement.
Un genre bactérien clé : Dehalococcoides
Il existe plusieurs espèces capables de réaliser une déchloration réductive. Chaque espèce, et même chaque souche, montre une habileté différente à réaliser une ou plusieurs étapes de la voie de dégradation (figure 3). L’objectif de cet article n'est pas de donner une liste exhaustive de tous ces microorganismes ; il est néanmoins important de comprendre à quel groupe métabolique ils appartiennent pour appréhender leur fonctionnement et optimiser leur activité lors d’une dépollution. Certaines bactéries, comme les sulfatoréductrices, utilisent le lactate et l’hydrogène comme substrat (source d’électrons) afin de dégrader le PCE jusqu’au cis-DCE. Ce premier type de bactéries est strictement anaérobie, ce qui signifie qu’elles sont sensibles à l’oxygène, même en trace. Cette particularité nécessite sur site la mise en place de conditions spécifiques pour stimuler le développement et l’activité de ces bactéries. Il existe également un autre groupe métabolique : les bactéries anaérobies facultatives. Ces bactéries ont la capacité d’utiliser l’oxygène comme accepteur final d’électron, mais aussi un panel important d’accepteurs finaux d’électron qui leur permettent de réaliser la respiration anaérobie (Sharma et al., 1996). Stimuler un tel groupe métabolique demande également un environnement anoxique ainsi qu’une sélection des sources de carbone apportées, mais reste intéressant étant donné les capacités de résistance de ces microorganismes à la toxicité du produit (jusqu’à 1 300 mg/L alors que les autres supportent au mieux 26 mg/L).
Il existe cependant une espèce : Dehalococcoides sp. BAV1 capable de réaliser la totalité de la voie de dégradation du PCE à l’éthylène. Cette espèce réalise cette dégradation à l'aide de deux enzymes qui vont totalement dégrader la molécule en condition anaérobie stricte. Une telle espèce constitue un organisme clé pour la stratégie de dépollution du sol. En effet, si les autres souches permettent d’effectuer quelques étapes de la voie de dégradation, stimuler cette espèce semble éviter l'accumulation d'intermédiaires de dégradation. D’ailleurs, les sites traités par voie biologique montrent la présence de cette bactérie parmi la microflore totale (étude à grande échelle en Amérique du Nord ; Major et al., 2002).
Comme nous l'avons vu précédemment, le polluant ne sert pas de source de carbone, mais d’accepteur terminal d’électron. Il est donc nécessaire d’apporter une source de carbone adaptée à ces microorganismes pour permettre une déchloration efficace. Contrairement aux bactéries aérobies qui peuvent assimiler des composés organiques complexes, les bactéries anaérobies utilisent principalement des sources de carbone très simples, quelques carbones généralement, comme le lactate ou d’autres petits acides gras volatils. Plusieurs produits souvent dérivés de l'industrie agro-alimentaire peuvent être utilisés pour stimuler la déchloration biologique. On peut citer le lactate, les mélasses et les huiles végétales qui sont les plus utilisés. Les huiles ne sont pas directement assimilables par les bactéries, mais leur fermentation par d’autres microorganismes va libérer dans l'environnement des
petits acides gras très bien adaptés à la biostimulation recherchée. Pour faciliter l'injection et la migration dans le sol, des formulations d’huile végétale en microémulsion ont été spécialement développées.
Il existe aujourd’hui plusieurs outils qui permettent d’évaluer le potentiel microbiologique d’un sol lors des études de faisabilité. Les pilotes préalables réalisés en laboratoire permettent d’évaluer la compétence de la microflore naturelle, d’évaluer la faisabilité du traitement pour pouvoir le sécuriser par rapport au risque d’accumulation des sous-produits. Le procédé de biodégradation anaérobie fait appel à différents microorganismes qui sont aujourd’hui détectables par des techniques de biologie moléculaire. Dans un avenir proche, ces outils de biologie moléculaire permettront non seulement de vérifier la présence des bactéries compétentes, mais aussi d’évaluer leur activité sans attendre plusieurs mois les analyses chimiques de suivi.
Les atouts du traitement biologique
Aujourd’hui encore très peu utilisé en France et en Europe, le traitement biologique anaérobie des éthylènes chlorés a déjà fait ses preuves, notamment aux États-Unis. La forte demande sur la réhabilitation des solvants chlorés observée ces dernières années sur le marché français et les nouvelles directives ministérielles en matière de gestion des sites et sols pollués (note ministérielle du 8 février 2007) sont des éléments favorables au développement de cette technique en France. En effet, le traitement biologique des solvants chlorés présente d’ores et déjà plusieurs atouts. La durée de traitement par les techniques in situ actuellement utilisées est souvent longue. Le facteur temps souvent défavorable à la compétitivité des traitements biologiques n’est donc pas ici un handicap. Le prix qui demeure un facteur clé joue également en faveur de la biologie. De plus, les bactéries anaérobies sont capables de résister à des concentrations très élevées de solvant (jusqu’à la solubilité) ce qui rend possible le traitement des sources. Cette possibilité est un véritable atout par rapport à la nouvelle directive ministérielle où, dans le cadre de l’élaboration du plan de gestion, une des priorités est de traiter les zones sources lorsqu’elles sont identifiées. Enfin, les analyses de biologie moléculaire actuellement disponibles et les pilotes préalables réalisés en laboratoire permettent d’évaluer la compétence de la microflore naturelle, d’optimiser le traitement et de mieux évaluer le risque d’accumulation de sous-produits.
Ainsi, ce traitement biologique, opérationnel en zone source et moins coûteux que les techniques physiques (pompage, sparging…) ou chimiques (oxydation in situ) commence à percer en France. Même s’il possède de nombreux atouts, ce procédé ne sera pas applicable dans tous les cas mais il viendra probablement compléter le panel des techniques de dépollution déjà existantes.
Dans le cadre de son offre globale pour la gestion des sites et sols pollués, SITA Remediation propose aujourd'hui une offre cohérente et complète sur cette technique depuis les tests préliminaires par biologie moléculaire, les pilotes de faisabilité au laboratoire jusqu’à la mise en œuvre sur site et le suivi du traitement.
Afin d’affiner les paramètres de contrôle de ces procédés et d’innover par la mise au point d'outils de diagnostic de l’état du sol, SITA Remediation coordonne le projet EVASOL, cofinancé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) dans le cadre du Programme Ecotechnologies et Développement Durable (PRECODD) sur le suivi et l’optimisation du traitement biologique anaérobie des sites pollués par les solvants chlorés.
Remerciements : Je remercie le Professeur Timothy Vogel et Maude David pour leurs conseils avisés lors de la rédaction de cet article.
Références bibliographiques
* Major D.W., McMaster M.L., Cox E.E., Edwards E.A., Dworatzek S.M., Hendrickson E.R., Starr M.G., Payne J.A., and Buonamici L.W. 2002. Field demonstration of successful bioaugmentation to achieve dechlorination of tetrachloroethene to ethene, Environ. Sci. Technol. 36 : 5106-46.
* Sharma P.K., McCarty P.L. 1996. Isolation and characterization of a facultative aerobic bacterium that reductively dehalogenates tetrachloroethylene to cis-1,2-dichloroethylene. Appl. Environ. Microbiol. 62 : 2850-53.
* Vogel T.M., Criddle C.S., and McCarty P.L. 1987. Transformation of halogenated aliphatic compounds. Environ. Sci. Technol. 21 : 723-35.