Les composés organochlorés volatils (COHV) ont été largement utilisés durant les cinquante dernières années. On les retrouve aujourd'hui au c'ur de nombreuses pollutions de sols et de nappe, sous forme de poches de produit pur (?zones sources') et panaches de pollution dissoute. En raison de leurs propriétés physico-chimiques particulières, il a été nécessaire de développer des procédés de dépollution spécifiques, tous faisant appel à un diagnostic précis et une expertise importante préalables.
Un des grands défis environnementaux des années à venir est la réhabilitation des sites pollués par des composés organo-halogénés volatils (solvants chlorés). En effet, les solvants chlorés ont été très largement utilisés, tant au niveau industriel que domestique, pendant les cinquante dernières années, et se retrouvent aujourd’hui au cœur de nombreuses pollutions de sols. Comme ils sont toxiques, les teneurs tolérées sont très basses et il est souvent nécessaire d’engager une dépollution du sol ou de la nappe.
La plupart des procédés de dépollution du sous-sol ont été mis au point pour le traitement des hydrocarbures. De par leurs propriétés physico-chimiques différentes (densité et solubilité), les solvants chlorés ont nécessité la mise au point de techniques de dépollution spécifiques.
La problématique des solvants chlorés dans l’environnement
Les composés organo-halogénés volatils (solvants chlorés) sont des composés organiques comportant 1 ou 2 atomes de carbone et un ou plusieurs atomes halogénés. Nous nous intéressons ici aux plus courants d’entre eux qui sont des composés chlorés, souvent appelés « solvants chlorés ». Ils englobent les familles des méthanes chlorés, éthanes chlorés et éthylènes chlorés.
Les solvants chlorés ont été principalement utilisés pour le nettoyage à sec des textiles, le dégraissage et le nettoyage de pièces métalliques, mais également comme inter-
Tableau 1 : Principaux solvants chlorés et leur utilisation
Trichloroéthylène (TCE) : | Nettoyage à sec des textiles ; Dégraissage des pièces métalliques |
Perchloroéthylène (PCE) : | Nettoyage à sec des textiles ; Dégraissage des pièces métalliques |
Chloroforme (CF) : | Intermédiaire de synthèse des substituts de CFC ; Intermédiaire de synthèse du HCFC 22, de colorants, de médicaments, de pesticides |
Tétrachlorure de carbone (CCl₄) : | Solvant d’extraction (pénicilline et autres antibiotiques, pesticides, graisses, huiles, etc.) ; Intermédiaire de synthèse et solvant d’extraction |
Dichlorométhane (CH₂Cl₂) : | Solvant dans l’industrie pharmaceutique ; Dissolvant pour peintures ; Intermédiaire de synthèse des substituts de CFC |
1,1,1-Trichloroéthane (1,1,1-TCA) : | Nettoyage des métaux ; Aérosols |
Intermédiaires de synthèse dans l’industrie chimique et comme solvants d’extraction dans des domaines très variés, les solvants chlorés interviennent également dans la fabrication des colles, des peintures et des vernis. En raison de leur utilisation intensive, ils sont fréquemment rencontrés dans l’environnement. Les deux polluants les plus souvent identifiés sont le trichloroéthylène (TCE) et le perchloroéthylène (PCE).
Un polluant = deux problèmes
Les solvants chlorés diffèrent des autres polluants organiques classiquement rencontrés (hydrocarbures) par leurs propriétés physico-chimiques. Tout d’abord, ils sont plus denses que l’eau et, lors d’un déversement accidentel, ils pénètrent dans la nappe phréatique jusqu’à une couche imperméable où ils s’accumulent. Si les quantités en présence sont importantes, l’accumulation a lieu sous forme de poches de produit pur (désignées par la suite « zone source »).
Selon la géologie du sous-sol, le polluant peut être dispersé à différents niveaux de l’aquifère, sous forme de multiples points d’accumulation. La localisation de ces zones sources nécessite une bonne connaissance de la géologie et de l’hydrogéologie locales et un diagnostic précis du site. Les solvants chlorés étant peu solubles, ces poches de produit pur se dissolvent alors très lentement dans la nappe phréatique pour former un panache de pollution.
On distingue donc deux types de pollutions :
- • Les zones sources : elles sont majoritairement constituées de poches de solvants chlorés purs localisées soit sur une lentille de terrain imperméable, soit au toit d’un substratum.
- • Les panaches de pollution : il s’agit de solvants chlorés dissous dans l’eau de nappe. Les solvants chlorés sont classés toxiques et les concentrations maximales tolérées dans les eaux de nappe sont très faibles (de l’ordre du ppb = µg/l).
De plus, ils sont faiblement biodégradables ; il est donc nécessaire de mettre en œuvre des techniques de dépollution appropriées. Certaines techniques, développées pour la réhabilitation des sols et des eaux de nappe contaminés par des solvants chlorés, sont adaptées des méthodes classiques (techniques de pompage), tandis que d’autres ont été conçues spécifiquement (barrières réactives).
Le traitement des zones sources
Les zones sources sont composées de mélanges de solvants chlorés purs, en quantité pouvant varier de quelques litres à plusieurs dizaines de m³. Le traitement vise à réduire au maximum le volume de ces poches de polluant afin de faciliter et de réduire la durée du traitement de la nappe phréatique où les solvants chlorés vont lentement se solubiliser.
Le pompage
À priori, le traitement le plus simple des zones sources est le pompage. Dans les faits, les polluants chlorés sont souvent répartis en une multitude de zones sources situées à différents niveaux de l’aquifère. La mise en place d’un pompage efficace est donc délicate en raison de la difficulté à localiser ces zones. La réussite du traitement passe nécessairement par une étude précise de la géologie et de l’hydrogéologie du site. À ce stade, l’outil informatique est souvent précieux pour interpréter l’ensemble des données recueillies sur le site. La modélisation permet d’obtenir une vision en trois dimensions de la répartition du polluant dans l’aquifère ainsi que de simuler son développement. L’ensemble de ces informations, couplé aux données géologiques, permet d’optimiser l’implantation des puits de pompage.
ciale d'un diagnostic précis de la zone, le choix de la technique de pompage peut également influer grandement sur les performances. L'utilisation de pompes immergées doit être envisagée.
Cette technique est efficace, simple à mettre en œuvre, mais peut s’avérer coûteuse lorsque la présence de zones sources multiples impose l'utilisation d’un grand nombre de points de pompage.
Le pompage sous vide est souvent plus efficace et plus rapide, d’autant que le nombre de points de pompage peut être multiplié à moindre coût. Cette technique est cependant plus délicate à mettre en œuvre car elle nécessite une parfaite maîtrise, notamment pour la régulation des débits au niveau de chaque point de pompage et pour éviter les problèmes d’amorçage/désamorçage.
Quelle que soit la méthode de pompage utilisée, le fluide pompé est un mélange eau/solvants chlorés. Après séparation gravitaire (décanteur/débourbeur), les solvants chlorés purs sont récupérés et l'eau nécessite un post-traitement adapté.
Après un pompage, les quantités résiduelles de produits chlorés en fond de nappe peuvent rester significatives même si le traitement a bien été mené et que des quantités importantes de polluants ont été récupérées. Dans certaines configurations, la quantité de polluant immobilisée en fond de nappe phréatique est trop faible pour être pompée.
L’oxydation in situ
Lorsque le pompage atteint ses limites, il est encore possible de résorber les zones sources par des procédés d’oxydation in situ. Les traitements d’oxydation in situ permettent la destruction du polluant résiduel en fond d’aquifère. L’oxydation in situ est basée sur l'injection d'un composé oxydant. Les polluants chlorés sont détruits par réaction chimique avec l’oxydant injecté. Lorsque l'oxydation est totale, ils sont transformés en eau, dioxyde de carbone et chlorures. Les deux oxydants les plus utilisés pour l’oxydation in situ sont le réactif de Fenton et le permanganate.
Le réactif de Fenton est un oxydant très puissant, composé d'ions ferreux et de peroxyde d’hydrogène. Il réagit sur un très grand nombre de composés organiques. L’efficacité du réactif est optimale à pH acide, ce qui rend son utilisation délicate dans certains sols.
Le permanganate est un oxydant moins puissant mais dont la durée de vie dans le sous-sol est supérieure. De façon générale, les procédés d’oxydation in situ présentent le gros avantage de détruire les polluants efficacement et rapidement. Toutefois, leur mise en œuvre est délicate, en raison de la dangerosité des oxydants utilisés. Par ailleurs, les oxydants ne sont pas sélectifs et peuvent réagir avec tout composé oxydable du sol, entraînant une surconsommation de réactif de traitement. Il est donc nécessaire de réaliser un test de faisabilité en laboratoire pour évaluer la demande du sol en oxydant (DSO). Ce paramètre évalue le pourcentage d’oxydant qui sera naturellement consommé par un sol indépendamment du polluant. Il permettra ensuite d’optimiser les quantités d’oxydants à utiliser.
Le traitement des panaches de pollution
Les solvants chlorés étant classifiés comme toxiques, les concentrations maximales tolérées dans les eaux de nappe sont très basses. Il est donc nécessaire de traiter les panaches de pollution résultant de la présence de poches de produit pur.
Le pompage-traitement (pump and treat)
L’approche la plus simple, appelée pump and treat, consiste à pomper l'eau de nappe polluée et à la traiter en surface. Cette technique est bien maîtrisée puisqu’elle est utilisée depuis longtemps pour d’autres types de polluants. Selon l’hydrogéologie du site, il est parfois nécessaire de pomper un gros débit d’eau pour réussir à canaliser la totalité d’un panache de pollution. Le principal problème réside alors dans le traitement de l’eau qui génère rapidement des coûts élevés.
Différents procédés de traitement d’eau sont applicables :
- Le stripping est le procédé de traitement en surface le plus fréquemment employé. Le principe du stripping est d’injecter de l’air dans l'eau à traiter. Au contact des bulles d’air, les polluants dissous sont transférés de l’eau vers l’air. L’air chargé en polluant volatilisé est alors traité, le plus souvent par filtration sur charbon actif.
- La filtration sur charbon actif de l’eau pompée est un procédé très efficace souvent utilisé. Toutefois, la destruction du charbon actif après utilisation est coûteuse, ce qui en fait un procédé plutôt adapté aux très faibles concentrations et aux petits débits.
- Les procédés d’oxydation avancée (AOP) se sont largement développés ces dernières années. Ils regroupent différents procédés de traitement basés sur l'action d’une espèce radicalaire à très fort pouvoir oxydant, le radical hydroxyle OH°. Pour le traitement d’eau, trois procédés peuvent être utilisés : TiO2/UV, H2O2/UV et O3/UV (voir figure 2). Les AOP présentent l’avantage d’être efficaces sur une large gamme de composés chlorés et d’aboutir à la destruction de ces composés (l’oxydation des solvants chlorés aboutit à leur dégradation en eau H2O, dioxyde de carbone CO2 et chlorures Cl) :
RCl + OH° → CO2, H2O, Cl-
Les barrières réactives
Afin de s'affranchir du pompage et de ses contraintes pour traiter une nappe, un nouveau procédé appelé “barrière réactive” a
été mis au point. Il s’agit d’une tranchée réalisée entre la surface du sol et le substratum (couche imperméable), orientée perpendiculairement au sens d’écoulement de la nappe. Cette tranchée est entièrement remplie par un principe actif de traitement ; celui qui est généralement utilisé pour traiter les solvants chlorés dissous est le fer. Il agit comme réducteur et permet la déchloration du polluant :
RCl + Fe + H₂O → RH + Fe²⁺ + Cl⁻ + OH⁻
Le panache de pollution qui passe à travers le principe actif de traitement est dépollué. Les dimensions de la barrière sont ajustées de façon à intercepter la totalité du panache de pollution (longueur de la barrière) et à assurer un temps de contact suffisant entre l’eau à traiter et le principe actif de traitement (largeur de la barrière).
Ce procédé présente le gros avantage d’être destructif et peu coûteux à l’achat. Un des inconvénients est la vitesse de réaction très lente entre le fer et le polluant qui impose un temps de résidence très important de l’eau dans le réactif. Ce procédé implique donc souvent l’utilisation de très grands volumes de fer et peut être appliqué à des nappes à faible vitesse d’écoulement. Un autre inconvénient provient de la faible granulométrie du fer utilisé. Les modifications des propriétés physico-chimiques de l’eau au cours de la réaction (pH et potentiel redox) favorisent la précipitation de certains composés inorganiques. Ces problèmes de colmatage sont difficiles à résoudre et la maintenance de ce type d’installation est délicate et coûteuse.
Face à ces soucis de traitement, d’autres réactifs de déchloration ont été développés. C’est le cas du réactif de déchloration catalytique développé par SITA Remediation (ex Ate-Geoclean). Le procédé baptisé Keops® est basé sur la mise en place dans une barrière réactive « panneau drain » d’un réactif de traitement qui permet la destruction des solvants chlorés présents dans l’eau de nappe. La barrière réactive « panneau drain » est composée de parois étanches qui canalisent la nappe polluée vers une porte de traitement. Les parois étanches sont dimensionnées de manière à acheminer tout le panache de pollution vers la porte de traitement.
Le principe actif de traitement est placé au niveau de la porte dans des cartouches. Grâce à la paroi étanche, l’eau se dirige sans pompage jusque dans la porte de traitement.
Le principal avantage des barrières réactives « panneau drain » est que l’eau s’écoule au travers du réactif de traitement sans pompage, uniquement grâce à l’écoulement gravitaire de la nappe généré par les parois étanches. De plus, la cartouche amovible permet d’intervenir facilement pour toute opération de maintenance.
- — Fer zéro valent
- — Réactif de déchloration catalytique
Durée du traitement
Il est possible de placer en série plusieurs cartouches de traitement, chacune remplie d’un réactif de traitement différent, permettant de s’adapter au mieux à la problématique du site.
En revanche, comme la quantité de réactif utilisable est limitée (quelques m³ maximum) et comme on concentre au niveau de la porte le débit de toute une tranche d’aquifère, les temps de contact eau/réactif sont beaucoup plus faibles que pour une barrière « classique » et il faut utiliser des réactifs beaucoup plus performants. Le réactif de déchloration catalytique, utilisé dans le procédé Keops®, est composé d’un mélange de fer et de catalyseurs d’hydrogénation.
Le procédé de traitement est basé sur la
capacité du fer à produire de l’hydrogène au contact de l'eau (1) et sur la réaction d’hydrogénation (ou déchloration) des solvants chlorés en présence de catalyseurs à base de métaux de transition :
Fe + 2 H₂O → Fe²⁺ + H₂ + 2 OH⁻ (1) RCl + H₂ —catalyseurs→ RH + HCl (2)
Les réactions mises en jeu sont beaucoup plus rapides que celle du procédé fer zéro valent ; ce procédé est donc particulièrement adapté à une utilisation dans le procédé Keops®, où les volumes de réactif sont réduits (voir figure 4).
Comme avec le réactif à base de fer, la modification des conditions de potentiel redox et de pH entraîne la précipitation de certaines espèces.
Toutefois, la granulométrie du fer utilisé dans le procédé de déchloration catalytique est supérieure, ce qui permet de s’affranchir des problèmes de colmatage rencontrés en fer zéro valent. Les performances du réactif de déchloration catalytique étant dépendantes des caractéristiques physico-chimiques de l'eau à traiter, le dimensionnement du système de traitement est réalisé grâce à un test effectué au laboratoire sur l'eau à traiter : un échantillon de cette eau est injecté dans une colonne remplie de réactif de déchloration catalytique standardisé.
La concentration en solvants chlorés est mesurée en entrée et en sortie de colonne. Les performances du réactif de traitement sur les différents polluants chlorés sont alors estimées pour l'eau à traiter.
D'autres procédés de traitement peuvent également être mis en œuvre dans des barrières de ce type, c’est le cas du procédé TiO₂/UV : des photoréacteurs comportant une ou plusieurs lampes UV et du dioxyde de titane TiO₂ fixé sur un support approprié peuvent être installés dans les portes de traitement.
Conclusion
La toxicité et les caractéristiques physico-chimiques des solvants chlorés en font des polluants de l'environnement atypiques qui sont à l'origine de nombreuses pollutions de nappes phréatiques. Ces pollutions complexes ont longtemps été abordées avec des techniques classiques de réhabilitation souvent mal adaptées. Aujourd’hui, de nouveaux procédés de traitements chimiques basés soit sur la réduction, soit sur l’oxydation des polluants apportent des solutions spécifiques efficaces.
Dans tous les cas, les pollutions de nappes par solvants chlorés sont des problématiques complexes qui imposent un diagnostic précis et une expertise importante pour proposer la meilleure solution technique et économique. ■