Le randonneur monte dans les refuges avec son « potentiel polluant », et il ne s'agit pas seulement des reliefs de son déjeuner. Traiter les eaux usées en milieux montagneux n?est pas chose aisée. Les solutions qui s'offrent à des situations souvent extrêmes ne sont pas forcément bien adaptées. Un excellent guide technique « assainissement en site isolé d'altitude » dédié aux refuges décrit les solutions traditionnelles ou rustiques qui existent, avec une approche « avantages - inconvénients ». Cependant, certaines solutions techniques manquent parfois de prise en compte de la totalité des pollutions générées et des contraintes d'exploitation quotidiennes. De plus, le manque de place, la faible épaisseur de sol, les températures fortement négatives condamnent la plupart des solutions rustiques. Nous avons cherché à compléter l'approche de ces situations extrêmes avec des procédés innovant de filtres compacts, ou de petite station d'épuration traditionnelle totalement enterrée.
L’assainissement en site isolé d’altitude, sous la direction de G. Nicoud. Programme interreg III ALCOTRA.
Cette étude que nous nommons « Étude ANEME » est un partenariat entre Veolia Eau, l’AERMC, et l’ANEM. Elle a été initiée en 2006 et porte sur 6 sites offrant des difficultés particulières. Quatre sites sont d’ores et déjà équipés et ont été inaugurés. Le présent article s’attache à décrire les filières installées opérationnelles. Les deux dernières réalisations ne vont pas tarder à être mises en place. Comme pendant les randonnées, l’assainissement prend parfois le pas du montagnard…
Pourquoi cette étude « ANEM »
Les petites collectivités de montagne présentent des caractéristiques spécifiques qui complexifient largement l’installation et l’exploitation des systèmes d’assainissement des eaux usées : températures extrêmes, fréquentation variable, accessibilité réduite, implantation difficile, couverture en électricité souvent absente… En 2007, le taux de raccordement des communes alpines de moins de 2000 habitants était de 82 % (chiffre AERMC). Toutefois, même si une installation de traitement des eaux usées dessert le cœur de la collectivité, les hameaux dispersés sont souvent peu concernés. Le traitement de ces petites sources polluantes pose encore problème et explique que les sources dispersées de pollution domestique non traitées soient encore nombreuses. Il s’agit d’habitations individuelles mais aussi d’habitats groupés sous forme de hameaux ou bien encore de restaurants d’altitude ou de refuges. Ces sites ont les mêmes contraintes, mais encore renforcées par le fort enneigement, par la difficulté d’approvisionnement en énergie conventionnelle qui amène à mettre en œuvre des panneaux photovoltaïques quand on ne peut pas faire autrement, l’absence de couverture GSM qui rend difficile un suivi à distance. La résolution de ces problèmes nécessite une approche spé-
C’est dans ce contexte que l’Association Nationale des Élus de Montagne (ANEM), l’Agence de l’eau RMC et Veolia Eau ont mis en place un programme d’expérimentations visant à valider, à travers des expérimentations à l’échelle industrielle et dans des conditions réelles, des technologies innovantes qui prennent en compte ces contraintes.
Il s’agit de petites installations d’assainissement qui ont été testées par Veolia Eau sur les plateformes expérimentales du CSTB de Nantes et du BDZ de Leipzig, dans des conditions parfaitement maîtrisées. L’objectif est de pouvoir proposer des filières innovantes aux performances garanties malgré des conditions d’exploitation compliquées.
Principales caractéristiques des sites (cf. tableau ci-dessous)
Tableau 1 : Description des sites et de leurs caractéristiques
| Nom usuel : Hameau de Chambran |
| Localisation : Commune de Pelvoux (05) – Parc naturel du Pays des Écrins |
| Collectivité partenaire : Communauté de Communes du Pays des Écrins (CCPE) |
| Altitude : 1 700 m |
| Accessibilité : Route fermée 5 mois/an ; accès routier délicat pour les ouvrages de grande taille |
| Variation de charges : de 0 à 48 EH en pointe |
| Couverture énergétique : Non |
| Réseaux de communication : Non (partiellement Orange ou Bouygues) |
| Autres contraintes : Intégration paysagère ; niveau haut de la nappe |
| Technique retenue : Filtre compact à copeaux de coco et rejet par infiltration |
| APS : Hydrétude 2008/2009 |
| Date des travaux : fin septembre 2009 |
| Entreprises impliquées : Hydrétudes ; Olive TP ; Sol’ER |
| Date de réception : 17/10/2009 |
| Inauguration : 22/10/2009 |
| Suivis : 2010/2011 |
| Nom usuel : Hameau des Viollins |
| Localisation : Commune de Freissinières (05) – Parc naturel du Pays des Écrins |
| Collectivité partenaire : Communauté de Communes du Pays des Écrins (CCPE) |
| Altitude : 1 200 m |
| Accessibilité : Site éloigné ; accessibilité limitée en hiver |
| Variation de charges : de 1 à 24 EH |
| Couverture énergétique : Oui |
| Réseaux de communication : Oui |
| Technique retenue : Filtre compact à copeaux de coco et rejet par infiltration |
| APS : Hydrétude 2008/2009 |
| Date des travaux : 15/09/2009 |
| Entreprises impliquées : Hydrétudes ; TP Allamano |
| Date de réception : 07/10/2009 |
| Inauguration : 22/10/2009 |
| Suivis : 2010/2011 |
| Nom usuel : Refuge de la Balme |
| Localisation : Commune de la Côte d’Aime (73) – Massif du Beaufortin |
| Collectivité partenaire : Commune de la Côte d’Aime |
| Altitude : 2 009 m |
| Accessibilité : Piste d’éboulis sur 5 km peu carrossable ; partie de la route fermée en hiver (accessible en raquettes) |
| Variation de charges : de 0 à 32 EH |
| Couverture énergétique : Non |
| Réseaux de communication : Bouygues et Telecom par endroits |
| Autres contraintes : Intégration paysagère ; terrain rocheux |
| Technique retenue : Filtre compact à copeaux de coco et rejet par infiltration |
| APS : Hydrétude 2008/2009 |
| Date des travaux : fin septembre 2009 |
| Entreprises impliquées : Edacere ; TP Construction Savoyarde |
| Date de réception : 07/10/2009 |
| Inauguration : 21/07/2010 |
| Suivis : mi-2010/mi-2012 |
| Nom usuel : Hameau des Clarionds |
| Localisation : Commune de Méolans-Revel (04) |
| Collectivité partenaire : Communauté de Communes de la Vallée de l’Ubaye (CCVU) |
| Altitude : 1 450 m |
| Accessibilité : Route étroite, deux ponts bois |
| Variation de charges : de 15 à 56 EH en pointe |
| Couverture énergétique : Oui |
| Réseaux de communication : Oui |
| Autres contraintes : Effluents de fromagerie à traiter en plus ; nature rocheuse des terrains |
| Technique retenue : Massif filtrant très compact textile/matériau organique, rejet par infiltration |
| APS : Edacere 2008 |
| Date des travaux : novembre 2009 |
| Inauguration : 22/07/2010 |
| Suivis : 2010/2011 |
| Nom usuel : Hameau de Champanastais |
| Localisation : Commune de Lauzet-Ubaye (04) |
| Collectivité partenaire : Communauté de Communes de la Vallée de l’Ubaye (CCVU) |
| Altitude : 1 000 m |
| Accessibilité : Pas de problème d’accès |
| Variation de charges : de 50 à 200 EH |
| Couverture énergétique : Oui |
| Réseaux de communication : Oui |
| Autres contraintes : Sensibilité du milieu récepteur |
| Technique retenue : Massif filtrant à copeaux de coco, lit de sable et rejet par infiltration en été seulement |
| APS : 2008 |
| Date des travaux : prévus printemps 2011 |
| Suivis : 2011/2012 |
| Nom usuel : Hameau de Beffay |
| Localisation : Commune de Petit-Bornand-les-Glières (74) |
| Collectivité partenaire : Commune de Petit-Bornand-les-Glières |
| Altitude : 775 m |
| Accessibilité : Pas de problème d’accès |
| Variation de charges : de 46 à 120 EH |
| Couverture énergétique : Oui |
| Réseaux de communication : Oui |
| Autres contraintes : Sensibilité du milieu récepteur (pêche et activités nautiques) ; extension des zones reliées à venir |
| Technique retenue : Culture libre type SBR et rejet au milieu récepteur |
| APS : 2008 |
| Date des travaux : prévus printemps 2011 |
| Suivis : 2011/2012 |
Petit Bornand les Glières (74) et celle de la Côte d’Aime (73). Ces sites se situent à des altitudes de 1 000 à 2 000 m. Les capacités de traitement des eaux usées varient de 24 à 200 EH*.
Les charges à traiter sont très variables. Les technologies testées sont un filtre compact à copeaux de coco, un filtre compact associant un textile et substrat organique, et une culture libre de type SBR. Les eaux usées traitées sont évacuées par infiltration dans la plupart des cas.
Un suivi expérimental est réalisé pendant deux ans, à partir de la mise en service des PIA.
Les aspects étudiés sont, outre les performances épuratoires et la réaction aux variations de charge, la gestion à distance du fonctionnement, la limitation de l’évacuation des sous-produits et l’autonomie d’énergie (par l’utilisation d’énergie solaire).
* EH : équivalent habitant, il correspond à la pollution émise par un habitant, il se mesure en DBO5 et a pour valeur 60 g O₂/j selon la directive européenne sur les eaux usées de 1991.
Les inaugurations
Hameau des Viollins
Ce hameau à 1 200 m d’altitude est très isolé l’hiver. Aujourd’hui, une seule personne y demeure pendant cette période. Il a fallu du temps pour faire converger les contraintes techniques de la petite installation d’assainissement projetée, l’identification d’un site d’implantation admissible à la fois par la population et par la commune, tout ceci dans une enveloppe budgétaire raisonnable.
Une des difficultés rencontrée, parmi d’autres, est l’habitude des habitants non résidents permanents de laisser couler un filet d’eau dans la maison en hiver pour éviter le gel des canalisations. Quelle que soit la filière de traitement des eaux usées prévue, ce comportement ne peut pas être maintenu.
Le hameau a été équipé d’un massif filtrant compact à copeaux de coco. La filière est implantée sur une terrasse en aval du hameau. La terrasse surplombe le torrent Biaysse.
La filière est composée d’une fosse septique toutes eaux de 10 m³. Les eaux issues de ce traitement primaire parviennent gravitairement dans un répartiteur trois voies, pour alimenter trois filtres fonctionnant en parallèle. Le rejet des eaux traitées se fait par infiltration dans une zone qui prolonge les trois filtres.
L’inauguration de la petite installation d’assainissement a eu lieu le 22 octobre 2010. Au vu des déluges de neige et de pluie la veille de l’inauguration, cette manifestation sympathique s’est déroulée en mairie de Freissinières. M. Nayrou, député de l’Ariège et Président de l’ANEM, M. Girod, député de Savoie, le vice-président de l’ANEM, député du Cantal, ont apprécié la coopération de l’ANEM avec les partenaires de l’étude, Veolia Eau et l’AERMC. Avec le maire de Freissinières, M. Cyrille Drujon d’Astros, également Président de la CCPE*, ils se sont montrés très satisfaits de la réalisation des travaux, et attendent avec impatience les résultats concrets de l’étude engagée.
* CCPE : Communauté de Communes du Parc des Écrins.
Hameau de Chambran
Ce hameau à 1 700 m d’altitude constitue la porte d’entrée du parc naturel des Écrins. Il est composé d'une demi-douzaine de chalets et d'une buvette.
Inaccessible six mois sur douze, le site est fréquenté par de nombreux amateurs de randonnées.
À la belle saison, les chalets sont souvent occupés le week-end et pendant les vacances. Quelques événements comme la fête de la St Jean créent un afflux de fréquentation, et le dispositif de traitement des eaux usées installé doit répondre à ce type de sollicitation.
Une des difficultés rencontrées a été d’identifier le site d’implantation, et surtout de s'adapter à l'altimétrie du réseau préalablement posé par la CCPE.
La PIA est malheureusement éloignée du cœur du hameau, ce qui pourra engendrer des actions d’entretien sur le réseau des eaux usées brutes. Par ailleurs, de fortes contraintes de niveau de nappe, de protection particulière par rapport au poids de neige ainsi que des flux des torrents lors de la fonte des neiges ont dû être prises en considération.
Ce site a été équipé d'un massif filtrant compact à copeaux de coco constitué de quatre unités fonctionnant en parallèle. Les filtres sont précédés de deux fosses septiques de 10 m³ en série, d’un volume total de 20 m³. En raison de la faible pente, et surtout de la profondeur du réseau existant, un poste de relèvement à l’amont des filtres est installé. Il alimente le répartiteur quatre voies qui permet d'alimenter simultanément les quatre filtres. L'énergie nécessaire au fonctionnement de la pompe de relevage des eaux est fournie par un panneau solaire abrité par la buvette. Les batteries sont à l'abri, dans le poulailler.
Le hameau de Chambran fait partie de la même communauté de communes que celui des Viollins. Les travaux ayant été terminés à la même époque, la PIA de Chambran a été inaugurée en même temps que celle du hameau des Viollins. Le mauvais temps n’a malheureusement pas permis de faire cette inauguration sur place, devant ces magnifiques montagnes.
Hameau de Champanastay
Ce hameau à 1 000 m d'altitude abrite 45 maisons dont seulement 35 sont actuellement raccordées.
Toutes ne sont pas occupées à l'année mais les variations de charges ont moins d'amplitude que celles des hameaux précédemment décrits.
Surplombant l'Ubaye fréquentée par des rafteurs et autres adeptes de sports aquatiques, le rejet de la petite installation d’assainissement doit être de qualité bactériologique particulièrement bonne.
Le site a été équipé de massifs filtrants compacts à copeaux de coco. Deux fosses septiques de 50 m³ chacune sont disposées en série à l’arrivée des eaux brutes du hameau. À leur suite, on trouve 6 filtres installés en parallèle, alimentés simultanément par une succession de deux répartiteurs qui divisent le débit d’abord en deux, puis chacun en trois.
Les eaux traitées sont collectées et envoyées sur une zone de filtration pour assurer un traitement de finition pendant la période estivale.
Avec le sous-préfet M. Bassanger, M. Lanfranchi, Président de la Communauté de communes de la vallée de l’Ubaye et Maire du Lauzet, M. Parisio adjoint à l’assainissement et la population conviée de Champanastay, l’unité de 200 habitants du hameau a été inaugurée le 22 juillet 2010. Un contact chaleureux avec les habitants a été l’occasion de riches échanges qui se sont poursuivis devant un repas au centre du village,
sous un magnifique soleil. Cette réalisation exemplaire est un excellent témoin de faisabilité, tout à fait duplicable pour plusieurs milliers de hameaux français sans assainissement.
Refuge de la Balme
Situé dans le massif du Beaufortin, ce refuge culmine à 2009 m d’altitude. Il constitue une halte très prisée des randonneurs, la réputation de sa cuisine et notamment sa soupe aux orties y sont pour beaucoup. L’absence d’assainissement bloquait les projets de développement de ce refuge. Parmi les contraintes imposées au projet, celle de réaliser une installation totalement intégrée pour que l’on ne puisse soupçonner la présence de la petite installation d’assainissement.
C’est chose réussie, le site est à présent équipé d’un dispositif de traitement des eaux usées par massif à copeaux de coco. Les eaux usées du chalet parviennent dans la première fosse septique de 8 m³. Une seconde fosse de même capacité est disposée à sa suite, en série. Trois filtres à copeaux de coco installés en parallèle reçoivent simultanément les eaux prétraitées, via un répartiteur trois voies situé en sortie de la seconde fosse septique. L’ensemble des équipements a fait l’objet d’une isolation thermique soignée, notamment les regards de visite.
Les eaux traitées sont collectées et dispersées dans le substratum.
À l’occasion de l’inauguration qui a eu lieu le 21 juillet 2010, M. le Maire de la Côte d’Aime, outre ses trois adjoints, avait invité quatre maires de collectivités intéressées par ce type d’unité d’assainissement. L’inauguration a été très chaleureuse et les nombreux visiteurs montagnards se sont montrés très intéressés par les informations techniques disponibles sur trois panneaux descriptifs sur le site. Ces panneaux vont d’ailleurs rester en place pour
L'information des randonneurs. L'intégration de l'unité dans le site est une réussite. Le repas préparé par le gardien du refuge et ses aides a clôturé de façon très conviviale cette inauguration.
Conclusion
Qu’il est agréable d’inaugurer des ouvrages de traitement des eaux usées dans des sites aussi grandioses. Plus encore qu’ailleurs dans ces endroits que la nature nous offre aussi généreusement beaux, faire en sorte que cette pureté soit durable grâce à un assainissement de qualité à hautes performances environnementales est un défi qu'il plaît à Veolia Eau et à ses partenaires dans cette opération de relever.
Déjà quatre sites sont sous haute surveillance. Les deux prochains sont prévus pour une mise en place au printemps 2011 dès que la neige aura fondu. Ces deux sites feront appel à deux technologies différentes de celles déjà installées, le textile tourbe pour l'une et les cultures fixées immergées pour l'autre.
L’aventure continue donc, et les premiers retours du suivi d’exploitation et de la surveillance des eaux traitées assurés par Veolia Eau feront l'objet d'une publication ultérieure.

