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Ultrafiltration et osmose inverse en dessalement d'eau de mer : de l'importance des prétraitements

30 octobre 2008 Paru dans le N°315 à la page 57 ( mots)
Rédigé par : Pierre CORSIN

La qualité de l'eau d'alimentation des membranes d'osmose inverse a une influence directe sur les coûts d'investissement et d'exploitation des usines de dessalement, d'où l'importance des traitements à faire subir à l'eau de mer avant son passage dans l'étage membranaire. Pour les usines alimentées par des prises directes en mer, il est de plus en plus fait appel à l'ultrafiltration, en lieu et place des prétraitements conventionnels pour l'élimination des matières en suspension et biologiques. L?adoption de l'ultrafiltration permet essentiellement : ? d'augmenter les flux, d'où des surfaces membranaires moindres à mettre en oeuvre ; ? de limiter les phénomènes de colmatage provoquant : - l'augmentation des pressions d'alimentation et donc de l'énergie consommée ; - la dégradation dans le temps des flux et de la qualité du perméat ; - des nettoyages chimiques fréquents ; - une diminution de la durée de vie des membranes.

, Fluid Consult

La qualité de l’eau d’alimentation des membranes d’osmose inverse a une influence directe sur les coûts d’investissement et d’exploitation des usines de dessalement, d’où l’importance des traitements à faire subir à l’eau de mer avant son passage dans l’étage membranaire.

Pour les usines alimentées par des prises directes en mer, il est de plus en plus fait appel à l’ultrafiltration, en lieu et place des prétraitements conventionnels pour l’élimination des matières en suspension et biologiques.

L’adoption de l’ultrafiltration permet essentiellement :

  • • d’augmenter les flux, d’où des surfaces membranaires moindres à mettre en œuvre ;
  • • de limiter les phénomènes de colmatage provoquant :
    • - l’augmentation des pressions d’alimentation et donc de l’énergie consommée ;
    • - la dégradation dans le temps des flux et de la qualité du perméat ;
    • - des nettoyages chimiques fréquents ;
    • - une diminution de la durée de vie des membranes.

Quelle qualité d’eau d’alimentation doit-on rechercher ?

Le tableau 1 donne les valeurs paramétriques préconisées par les fabricants de membranes d’osmose inverse (OI) pour obtenir des conditions d’exploitation plus ou moins satisfaisantes. Il n’est tenu compte que des paramètres pouvant être influencés par des traitements physico-chimiques tendant à abattre les matières en suspension et biologiques.

Remarques :

Il n’y a pas de corrélation entre la turbidité et l’indice de colmatage (voir encadré pour sa mesure). Par contre, il est constaté qu’une turbidité inférieure ou égale à 0,15 NFU correspond à un indice de colmatage de 3 ou moins.

Une turbidité faible et un indice de colmatage important signifient une concentration en matières organiques élevée.

Tableau 1 : Recommandations concernant la qualité de l’eau d’alimentation des membranes d’osmose inverse

ParamètreUnitéValeur maximaleValeur recommandée
TurbiditéNFU≤ 0,2≤ 0,15
Particules > 1,5 µmnbre mL⁻¹< 400< 200
Indice de colmatage (ICb)s< 3≤ 2
Carbone organique total (COT)mg L⁻¹< 3< 1,5
Activité biologiquegermes totaux / 100 mL< 10< 10
[Encart : Mesure de l’indice de colmatage (IC₁₀) et SDI Density Index (SDI₁₅) Dispositif de mesure • Alimentation échantillon • Régulateur de pression (2 bar) • Chronomètre • Manomètre – 2 bar • Support d’essai – Φ 47 mm • Membrane 0,45 µm • Bécher 500 mL Mode opératoire • Humidification de la membrane • Ajustement de la pression à 2 bar • Mesure du temps (t₀) nécessaire pour filtrer 500 mL • Prolongement de la filtration pendant 15 minutes (T) • Mesure du temps nécessaire pour filtrer 500 mL (t₁) Calcul • Pouvoir colmatant P P % = (t₁ – t₀)/t₀ • Indice de colmatage IC₁₀ IC₁₀ = 100 + P]

Quels sont les éléments de l’eau de mer à éliminer par des prétraitements physico-chimiques ?

Les prétraitements ont pour but d’éliminer le maximum de matières en suspension, de micro-organismes, ainsi que les constituants (matières organiques) servant d’alimentation à ces derniers. Les risques de formation et de prolifération d’un biofilm colmatant sur la surface des membranes d’osmose inverse sont ainsi limités.

Le tableau 2 donne les caractéristiques dimensionnelles des éléments présents dans l’eau de mer et ayant une influence sur le colmatage des membranes.

Quelles sont les performances des différents types de prétraitements ?

Les prétraitements conventionnels (cf. figure 1 page suivante) peuvent au mieux retenir des particules de 5 µm avec une efficacité de 99,8 %, tandis que les procédés membranaires, microfiltration et ultrafiltration, peuvent éliminer complètement les matières en suspension et une partie des matières biologiques et organiques (macromolécules) grâce à des seuils de coupure de 0,1 à 2 µm pour la microfiltration et de 10 000 à 300 000 Dalton pour l’ultrafiltration.

Si des valeurs de turbidité de 0,2 NFU et d’IC₁₀ variant de 3 à 4 avec des pointes à 5 peuvent être obtenues avec des procédés conventionnels, la microfiltration et l’ultrafiltration permettent d’atteindre des indices de colmatage inférieurs à 3, et ceci 100 % du temps, avec une turbidité ne dépassant pas 0,15 NFU.

Pourquoi choisir l’ultrafiltration plutôt que la microfiltration ?

Les dimensions des pores des membranes d’ultrafiltration (UF), étant plus faibles que celles des membranes de microfiltration (MF), font qu’elles sont moins sensibles aux colmatages du fait d’un différentiel plus important entre la taille des pores et celle des matières en suspension, empêchant ces dernières de les boucher, en surface et en profondeur.

L’ultrafiltration permet également de mieux abattre les concentrations en matières organiques, et en particulier les acides humiques prépondérants dans l’eau de mer, surtout s’il est prévu une coagulation directe en ligne à l’aide de chlorure ferrique injecté à très faible dose (< 0,5 mg · L⁻¹ exprimé en Fe) permettant d’envisager des abattements de l’ordre de 10 à 50 % environ.

Quel seuil de coupure choisir pour les membranes d’ultrafiltration ?

Si les membranes d’UF appliquées à la production d’eau destinée à la consommation humaine doivent constituer une barrière absolue vis-à-vis des micro-organismes, celles destinées à la protection des membranes d’osmose inverse peuvent avoir une valeur de seuil de coupure plus importante.

En général, les membranes d’UF pour la production d’eau potable ont un seuil de coupure exprimé en poids moléculaire de 100 000 à 150 000 Dalton, correspondant à des pores de 0,01 à 0,03 µm environ. Pour l’alimentation des osmoseurs on peut se limiter à un seuil de coupure de 300 000 Dalton correspondant à des membranes présentant des pores de 0,05 µm, du fait que dans ce cas l’ultrafiltration ne constitue pas la barrière ultime. De plus, elles sont plus économiques à fabriquer.

Quelles sont les différentes technologies appliquées à l’ultrafiltration ?

Les membranes d’UF disponibles sur le marché se distinguent par :

  • • le matériau (polyéthersulfone, polyacrylonitrile, PVDF, polymère cellulosique) ;
  • • le seuil de coupure (100 000 à 300 000 Dalton) ;
  • • le mode d’alimentation (en pression ou en dépression) ;
  • • le sens de la filtration (de l’intérieur vers l’extérieur, ou le contraire) ;
  • • la configuration de la membrane (plane, fibres creuses mono-canal ou multi-canaux) ;
  • • le nombre de peaux (une ou deux pour les fibres creuses) ;
  • • le mode de rétrolavage (à l’aide de perméat seul ou avec adjonction d’air comprimé).
[Photo : Figure 1 – Schéma de procédé des filières de prétraitements par les procédés conventionnels et membranaires. Légende : 1 Coagulation (FeCl₃) ; 2 Injection de polymère ; 3 Clarification (floculation – décantation ou flottation) ; 4 Filtration en 2 étapes sur média granulaires multi-couches ; 5 Microfiltration sur cartouches consommables ; 6 Microfiltration ou ultrafiltration]

• la position des modules (horizontale ou verticale) ;

• la mise en œuvre (dans des corps de pression ou en immersion dans des bassins).

Pour le traitement de l’eau de mer avant passage dans les modules d’osmose inverse, les unités d’ultrafiltration font en général appel à des modules de fibres creuses en polyéthersulfone (PES) modifié pour le rendre hydrophile, mono-canal ou multi-canaux fonctionnant sous pression (sens de la filtration de l’intérieur vers l’extérieur, ou vice versa) ou en dépression (les modules sont alors immergés dans des bassins, avec un sens de filtration de l’extérieur vers l’intérieur).

Le tableau 3 donne les avantages et les inconvénients des différentes technologies.

Quels sont les avantages apportés par l’ultrafiltration pour l’alimentation des modules d’osmose inverse ?

L’amélioration de l’indice de colmatage de l’eau d’alimentation influe sur :

• le flux transmembranaire, et donc la surface des membranes à mettre en œuvre (cf. figure 2) ;

• le déclin du flux dans le temps (cf. figure 2) ;

• la durée de vie des membranes (cf. figure 3) ;

• le colmatage, et donc la fréquence des nettoyages chimiques à effectuer.

Elle permet donc de réduire :

• les coûts d’investissement :

– diminution de la surface membranaire entraînant la mise en œuvre de moins de modules, de corps de pression, de collecteurs et de surface pour les bâtiments ;

– amélioration de la qualité du perméat permettant d’envisager l’augmentation du facteur de conversion et donc de diminuer la capacité des prétraitements et des pompes basse et haute pression.

• les coûts d’exploitation :

– l’augmentation de la durée de vie des membranes diminue le coût de remplacement des modules ;

– la diminution de la fréquence des nettoyages limite la consommation en produits chimiques et préserve les membranes ;

– rétrolavages moins fréquents permettant d’économiser du perméat ;

– possibilité d’adjonction d’air lors des rétrolavages ;

– encombrement faible (surface active approximativement double par rapport aux fibres fonctionnant de l’intérieur vers l’extérieur, pour un même diamètre extérieur) ;

– seuil de coupure de la préfiltration : 400-500 µm.

Tableau 3 : Avantages et inconvénients des différentes technologies appliquées à l’ultrafiltration

• Fonctionnement sous pression : bonne hydrodynamique, possibilité de doser des flux élevés et d’économiser du perméat ; nettoyage à l’air difficile et nécessité d’une préfiltration fine (coupure ≥ 150 µm).

• Fonctionnement en dépression : faible pression transmembranaire, coûts d’exploitation réduits, possibilité d’injection d’air lors des rétrolavages, utilisation d’air pour limiter le colmatage et réduire la fréquence des rétrolavages.

[Photo : Figure 2 – Influence de l’indice de colmatage sur le flux moyen et le déclin du flux des membranes d’osmose inverse destinées au dessalement d’eau de mer]
[Photo : Influence de l’indice de colmatage sur la durée de vie des membranes d’osmose inverse destinées au dessalement d’eau de mer.]
  • • d'une chloration continue utilisée dans les filières conventionnelles, prétraitement qui augmente les risques de biofouling par transformation des matières organiques non biodégradables en matières biodégradables constituant un apport alimentaire supplémentaire aux micro-organismes, favorisant ainsi leur prolifération sur les membranes ;
  • • les filières conventionnelles sont très sensibles aux variations des caractéristiques de l’eau de mer, ce qui n’est pas le cas pour l’ultrafiltration.
  • • la limitation du colmatage, et donc de la pression d’alimentation, entraîne des économies en énergie électrique.

Il résulte également de ce qui précède l’amélioration des conditions d’exploitation et de la disponibilité de l’usine.

Autres avantages :

  • • pour obtenir une plus grande surface membranaire installée dans des modules spiralés dont les dimensions sont standardisées, les fabricants ont diminué l’épaisseur des espaceurs des zones d’alimentation-concentrat, ce qui rend les modules plus sensibles au colmatage, d’où l’importance d’obtenir un indice de colmatage le plus faible possible grâce à l’ultrafiltration ;
  • • l’ultrafiltration permet de s’affranchir

Comment dimensionner une unité d’ultrafiltration ?

Pour le dimensionnement d’une unité UF les étapes suivantes sont à franchir :

  • • caractérisation de l’eau brute à traiter, et en particulier variations des températures et de la turbidité ;
  • • choix des valeurs paramétriques de dimensionnement : température, turbidité, seuil de coupure ;
  • • choix du type d’alimentation : sous-pression, en dépression ;
  • • dans le cas de l’adoption de membranes en fibres creuses, choix de la configuration des membranes : mono ou multi-canaux, peau interne ou externe ;
  • • sélection des modules les mieux adaptés à la demande dans la gamme standard des fabricants ;
  • • prise en compte des spécifications du module retenu (seuil de coupure, perméabilité, surface…).

Il peut être alors défini la surface membranaire et le nombre de modules standards à mettre en œuvre sur la base du flux. Il est donné par la formule suivante pour une filtration frontale, ce qui est le cas pour les unités UF traitant les eaux d’alimentation des membranes d’osmose inverse.

F = P₀ · PTM · k₁ · k₂ · k₃

où  
F = flux en L h⁻¹ m⁻² ;  
P₀ = perméabilité initiale de la membrane neuve en eau douce et propre, en L h⁻¹ m⁻² pour une pression transmembranaire de 1 bar et une température donnée, fixée conventionnellement à 20 °C ;  
PTM = pression transmembranaire = pression sortie − pression entrée, en filtration frontale, exprimée en bar ;  
k₁ = facteur de correction permettant de fixer la valeur de la perméabilité après un certain temps de marche (k₁ · P₀ = perméabilité stabilisée) ;  
k₂ = facteur de correction si la température de l’eau prise en considération est différente de 20 °C, dépend de la viscosité (cf. tableau 4) ;  
k₃ = facteur dépendant de la turbidité de l’eau à traiter (cf. figure 4).
[Photo : Valeur du facteur de correction k₃ en fonction de la turbidité pour le calcul du flux.]
[Photo : Schéma de procédé d’une unité d’ultrafiltration.]

Tableau 4 : Valeur du facteur de correction k2 en fonction de la température pour le calcul du flux

Température (°C) Viscosité dynamique (Pa·s) k2
5 1,518 × 10⁻³ 0,65
10 1,307 × 10⁻³ 0,70
15 1,139 × 10⁻³ 0,84
20 1,002 × 10⁻³ 1,00
25 0,890 × 10⁻³ 1,20

Les valeurs de P0 et k1 sont des données du fabricant du module adopté.

La pression transmembranaire moyenne à choisir est de l’ordre de 0,2 bar. Elle correspond à des flux variant de 50 à 120 L·h⁻¹·m⁻² en fonction du seuil de coupure adopté et des conditions d’exploitation.

Exemple :

P0 = 1,000 L·h⁻¹·m⁻² par bar  
k1 = 0,7  
température de calcul = 15 °C   k2 = 0,84  
turbidité de calcul = 20 NFU   k3 = 0,42  
PTM moyenne = 0,2 bar  
Flux (F) = 50 L·h⁻¹·m⁻²

Quels sont les paramètres d’exploitation des unités d’ultrafiltration ?

Les rétrolavages ont lieu lorsque la pression transmembranaire a atteint environ 0,5 bar pour une PTM moyenne de 0,2 bar. Si la pression transmembranaire dépasse 80 % de la valeur maximum prescrite par le fabricant, il est nécessaire de procéder à un nettoyage chimique à l'aide de soude, d’acide citrique, d’hypochlorite de sodium. Il intervient en moyenne une fois par mois (cf. figure 5).

La fréquence des rétrolavages est variable de 1 à 3 fois par heure. L’adjonction d’hypochlorite de sodium aux eaux de lavage est fonction de la charge biologique des eaux à traiter. Elle peut intervenir soit une fois par jour, soit tous les x lavages. Les pertes en eau dues aux rétrolavages sont de l’ordre de 5 à 10 % du débit entrant dans le système.

La production de l’unité d’ultrafiltration doit être maintenue constante afin de réduire la capacité tampon de filtrat entre l’UF et l’OI. Pour cela la pompe d’alimentation est équipée d’un variateur de vitesse électronique permettant d’augmenter la pression de refoulement pour compenser la perte de charge par colmatage (cf. figure 5).

L’énergie électrique consommée est de l’ordre de 0,05 à 0,1 kWh par m³ prétraité, ce qui est relativement faible par rapport à l’énergie consommée par l’étage d’osmose inverse (2,5 à 3,0 kWh par m³ de perméat).

Le coût d’exploitation d’une unité d’ultrafiltration est de l’ordre de 10 % du coût total de production d’un m³ d’eau douce par l’usine de dessalement.

Conclusion

Le nombre croissant d’usines de dessalement d’eau de mer couplant ultrafiltration et osmose inverse s’explique par la diminution constante du prix des membranes UF, la meilleure maîtrise du procédé, mais surtout par les synergies qui existent entre ces deux techniques membranaires. L’efficacité de la barrière que constitue l’ultrafiltration permet de maintenir en bon état de propreté les surfaces membranaires de dessalement.

Il en résulte, pour les exploitants des usines existantes désirant remplacer leur filière de prétraitements conventionnels par de l’ultrafiltration, un allongement des cycles entre deux nettoyages chimiques et une diminution de la consommation en énergie électrique.

Pour les usines en projet, l'ultrafiltration permet de plus d’augmenter les flux, et donc de diminuer les surfaces membranaires à mettre en œuvre, entraînant ainsi une diminution des coûts d’investissement.

[Figure : Variation des pressions d’alimentation entre rétrolavages et nettoyages chimiques, pour un fonctionnement à flux constant.]
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