Your browser does not support JavaScript!

Un exemple d'épuration des rejets vinicoles

30 juillet 1992 Paru dans le N°156 à la page 47 ( mots)

L’activité vinicole, saisonnière et discontinue dans ses différentes phases, génère des rejets polluants importants regroupés sur les trois à cinq mois à partir des vendanges.

Les fortes concentrations en éléments polluants associées à la discontinuité et aux fluctuations de la qualité des rejets constituent les principales difficultés d’épuration de cette pollution vinicole. Elles se révèlent d’autant plus délicates à résoudre que l’on se trouve face à un antagonisme gênant le bon fonctionnement d’un système épuratoire classique :

— d’un côté, des charges polluantes gigantesques et temporaires,— de l’autre, un système épuratoire réclamant, pour être performant, une certaine régularité du flux à admettre.

Ces observations montrent qu’une épuration au fil de l’eau des rejets d’effluents vinicoles apparaît difficilement envisageable tant pour des questions de coût de construction que d’exploitation. Dans l’hypothèse contraire, le procédé d’épuration implique une capacité de traitement dimensionnée sur la pointe de pollution journalière, laquelle correspond à des phases d’activité de courte durée suivies de périodes exemptes de rejets. Ce scénario conduit au surdimensionnement des installations, qui devront être totalement ou partiellement arrêtées en période de faibles rejets. D’autre part, l’épuration biologique classique exige un flux permanent pour être fonctionnelle. Par ailleurs, les lieux de production, souvent éloignés des zones urbaines importantes, ne peuvent bénéficier des avantages d’un assainissement collectif dont la mixité des effluents dans des proportions compatibles facilite souvent le traitement des eaux usées à caractère industriel.

Les solutions

Pour contourner ces difficultés, et dans un souci de préservation de l’environnement, la collectivité de Ville-sur-Arce (10), produisant annuellement 5 000 tonnes de raisin destinées à l’élaboration du vin d’appellation champagne, s’est dotée d’une station d’épuration innovante. Elle traite à la fois les effluents d’origine domestique (250 habitants) et l’ensemble de ceux issus de l’activité vinicole : eaux de pressurage, bourbes, eaux de lavages et lies. Aucune récupération de sous-produits n’est effectuée à la source.

La réalisation a été confiée à la SAUR, la conception et la maîtrise d’œuvre étant assurées par la Direction départementale de l’Agriculture et de la Forêt du département de l’Aube.

Préalablement à la réalisation de la station, l’étude des besoins de traitement a fait apparaître un flux de pollution journalière pouvant osciller entre 250 et 50 000 équivalents-habitants. Prenant en compte ces paramètres, la station comprend, outre les prétraitements, une filière « boues activées aération prolongée » d’une capacité de 1 700 éq.-hab. précédée d’un bassin tampon de 3 000 m³ ; celui-ci assure le stockage de la totalité des rejets vinicoles et permet l’étalement, sur 4 à 6 mois, de la charge polluante à traiter. Dès lors, le fonctionnement de la station à flux constant devient possible.

La restitution vers la station d’épuration s’effectue par une pompe volumétrique à débit réglable. Parallèlement, des analyses périodiques (DCO) de l’effluent stocké définissent le flux à injecter dans le traitement.

L’optimisation du fonctionnement de la station, opérationnelle depuis la vendange 1990, permet ainsi, dans les conditions de charge nominale, de respecter pleinement l’objectif de rejet fixé : eNK2.

Essais complémentaires sur pilote

Profitant de l’exploitation de cette station et dans le but d’expérimenter d’autres technologies appropriées à la traitabilité d’effluents vinicoles, la SAUR a entrepris sur le site une étude-pilote associant un lit bactérien en premier stade de traitement à un second étage par boues activées.

Caractéristiques du pilote

Il comporte deux étapes :

— 1er stade : « cultures fixées » sur matériau ordonné Sessil. Le Sessil est un nouveau matériau-support de bioréacteurs à ruissellement. Il se compose d’un ensemble de rubans en matière plastique suspendus à une grille directement fixée sous la répartition de l’eau à épurer ;

— 2e stade : « boues activées » à faible charge.

Lit bactérien

[Photo : Schéma du pilote.]

Les caractéristiques du lit bactérien à garnissage Sessil sont les suivantes :

• garnissage  
  hauteur : 5 m,  
  volume : 2,5 m³,  
  surface spécifique : 150 m²/m³,  
  surface développée utilisable : 375 m².  

• Sprinkler : vitesse de rotation : 0,6 à 1,2 tr/min.

Le volume utile du bassin d’aération (alimenté par le rejet du lit bactérien) est de 2,5 m³. Son aération est assurée par air surpressé. La surface utile du clarificateur est de 1,8 m².

Périodes d’expérimentation et de contrôle

Elles se sont déroulées pendant l’année 1991.

La période d’expérimentation a duré six mois en deux séquences : du 8 mars au 8 juillet, sur les eaux usées stockées lors de la campagne de 1990, et du 3 octobre au 6 décembre (essais ayant débuté au moment des vendanges).

Les périodes de contrôle se sont également déroulées en deux séries, du 17 mai au 25 juin et du 15 octobre au 29 novembre.

Résultats et discussion

Lit bactérien

Première séquence d’essais

La première phase expérimentale a permis de caractériser les principaux paramètres d’une exploitation optimale : charges organique et hydraulique, intensité de l’arrosage à appliquer sur le lit, ajouts de nutriments, régulation de pH. Elle a montré par ailleurs la faisabilité de l’épuration à partir d’un effluent stocké depuis plusieurs mois présentant une certaine septicité.

Les valeurs du potentiel d’oxydoréduction exprimées par rapport à l’électrode EHₙ sont de l’ordre de –15 mV pour les eaux usées stockées. Pour le pH, le gain en sortie du lit est d’environ 1 unité pour une valeur de départ voisine de 7.

Au cours de ces essais les eaux usées à traiter ont présenté les caractéristiques moyennes suivantes :

• DCO : 2 700 mg/l (valeurs extrêmes : 2 450-2 950 mg/l)  
• DBO₅ : 1 200 mg/l  
• DCO/DBO₅ : 2,25  
• MES : variant de 80 mg/l à 370 mg/l  
• EH : –15 mV (par rapport à EHₙ)  
• T° : 11 à 15 °C  
• pH évoluant de 6,3 à 7,2 comme suite à l’admission épisodique, en stockage, d’effluents fortement basiques.

Les résultats obtenus font apparaître que l’essentiel de la pollution se trouve sous forme soluble, les MES intervenant pour une part négligeable. Les essais montrent un abattement de pollution variant, pour la DCO, dans une fourchette de 43 à 62 %. Sur l’ensemble de la période, l’abattement moyen est de 50 %. Parallèlement la charge organique appliquée évolue de 6,4 à 8,6 kg de DCO par m³ de matériau pour une charge hydraulique superficielle de 3 m³/m²/h. L’abattement de la DBO₅ ressort en moyenne à 55 %.

Précisons également qu’à la mise en service l’ensemencement du lit est rapide. L’abattement en DCO atteint 40 % après 10 jours et 50 % après 15 jours de fonctionnement pour une charge appliquée de 6,5 kg de DCO par m³ de matériau.

[Photo : Le Sessil.]
[Photo : Evolution des concentrations amont-aval du lit, eaux épurées.]
Deuxième séquence d’essais

La seconde séquence, qui a débuté au moment des vendanges le 3 octobre 1991, s’est achevée le 29 novembre suivant ; cette période correspond à la pointe de l’activité vinicole et par conséquent à la pointe des rejets en termes de flux polluant.

Caractéristiques des eaux usées à traiter

Le suivi analytique a porté essentiellement sur la DCO, mesurée pendant 5 jours par semaine à partir d’échantillons moyens sur 24 heures. Les autres paramètres : DBO₅, MES, NTK, P total, ont été mesurés occasionnellement sur le même type d’échantillon.

Sur l’ensemble de la période d’essais, on observe une nette diminution (facteur 2) des concentrations dans le stockage. Celle-ci résulte essentiellement de l’effet de dilution apporté par les eaux usées domestiques dirigées

[Photo : Evolution de la charge éliminée en fonction de la charge appliquée.]

Tableau I

Paramètres Valeur minimale Valeur maximale
pH 3,6 5,1
DCO (mg/l) 5 030 9 000
DBO5 (mg/l) 2 665 5 295
DCO/DBO5 1,7 2,0
MES (mg/l) 90 330
N NTK (mg/l) 71,5 77
N NH4 (mg/l) 20,4 22,9
P total (mg/l) 18,5 21,75
EH (mV) 280 450
T (°C) 3 13
DBO5/N/P 100/1,5/0,5 100/2,7/0,7

vers le stockage en période de rejets des caves.

Les concentrations (valeurs extrêmes) des eaux usées à traiter pendant les essais sont résumées sur le tableau I. Illustrés par la figure 3, les résultats des essais appellent les commentaires qui suivent :

L’ensemencement du lit s’effectue rapidement avec un rendement significatif dès le 5ᵉ jour. Après 12 jours de fonctionnement l’abattement en DCO atteint 60 %.

La première semaine succédant à la période de mise en régime marque un seuil maximum quant à l’efficacité, les rendements atteignant 70 %, ce qui démontre, outre la facilité de mise en régime, la capacité potentielle d’une installation parfaitement optimisée sur l’ensemble des paramètres. Par la suite, en l’absence de cette optimisation, les rendements en DCO se stabilisent à des valeurs comprises entre 55 % et 50 % pour une variation de la charge appliquée de 5,2 à 10 kg de DCO/m³ de matériau.

La figure 4 montre la variation de la charge éliminée en DCO en fonction de la charge appliquée et ce, pour les deux périodes de contrôle. On notera que les meilleurs rendements sont obtenus sur les effluents les plus concentrés issus de la vendange.

Concernant les nutriments, les rejets vinicoles sont fortement carencés en azote. L’ajout d’ammoniaque a permis de se rapprocher du ratio de 100/4 (DBO5/N) tout en permettant par ailleurs une augmentation du pH d’environ 1,8 unité. Compte tenu d’une valeur de 0,5 pour le phosphore dans le ratio (DBO5/N/P), il n’a donc pas été pratiqué d’ajout de phosphore. En résumé l’ajustement en nutriments s’est effectué pour obtenir un ratio de 100/4/0,5.

Concernant le pH, l’effet tampon du réacteur autorise une valeur minimale de 6,5 en entrée des eaux usées pour garantir une valeur de l’ordre de 7,5 en sortie du lit. Assurée en partie par l’ajout d’ammoniaque, la correction de pH demande cependant un complément relativement faible de soude.

Boues activées en second étage

Les résultats obtenus sur le second étage, après clarification, permettent de respecter le niveau de rejet eNK2 pour une charge massique variant de 0,05 à 0,12 kg DBO5/kg MV.

Ils confirment par ailleurs : — l’adéquation, pour le traitement d’effluents vinicoles, d’un système épuratoire associant deux étages distincts, cultures fixées et cultures mixtes ; — le rôle régulateur du premier étage sur le fonctionnement du second, face à des à-coups de charge importants, celui-ci réclamant des conditions de charge bien maîtrisées pour être performant.

Concernant la qualité des boues activées, l’indice de boues, pour des valeurs en activation de 5 g MS/l, varie de 90 à 125. L’observation microscopique révèle la présence de vorticelles, de flagellés, et peu de filaments.

Conclusion

La technologie d’épuration expérimentée sur le site de Ville-sur-Arce associant un lit bactérien (avec garnissage Sessil) en premier stade de traitement à un second étage par boues activées s’est avérée bien adaptée à l’épuration des effluents vinicoles.

Dans ce contexte, la présence en tête de traitement d’un stockage des effluents étalant dans le temps (4 à 6 mois) la charge polluante vinicole apparaît primordiale. Cette condition permet la construction, de façon économique, d’une installation performante dimensionnée sur la base d’un flux moyen journalier semestriel, et non sur la pointe de pollution. À titre de comparaison, le rapport entre le flux journalier de pointe en période de vendange et le flux moyen journalier étalé sur 4 à 6 mois est de l’ordre de 25 au minimum.

L’absence de brassage du bassin de stockage et l’acidité naturelle des effluents bloquant l’essentiel des fermentations évitent les émissions d’odeurs autres que celles induites par l’effluent frais perceptibles et inévitables au moment des vendanges. Cette observation est confirmée par l’exploitation depuis deux années de la station, laquelle dispose d’un stockage de 3 000 m³.

Compte tenu des caractéristiques des effluents vinicoles : carence en éléments azote et phosphore, pH souvent inférieur à 5, il est nécessaire de procéder à l’ajustement en nutriments et d’assurer une correction du pH lors de la reprise des eaux usées stockées.

Outre les aspects économiques particulièrement intéressants tant au niveau de la réalisation que de l’exploitation, les avantages du procédé sont nombreux :

Rapidité de démarrage

Des résultats significatifs sont obtenus sur le lit bactérien dès le cinquième jour pour atteindre l’optimum après 15 jours de fonctionnement.

Souplesse d’adaptation à la charge demandée

Le lit bactérien assure un très bon dégrossissage de la pollution concentrée.

trée permettant de compenser les fortes variations. En régime optimisé l’abattement de la pollution carbonée par le lit dépasse 50 % pour des taux de charge appliquée variant de 5 à 8 kg de DCO/m³ de matériau par jour ; ce qui confirme une grande souplesse d’adaptation du matériau à la charge demandée. De plus, les meilleurs résultats sont obtenus sur les effluents les plus concentrés issus de la vendange.

Performances épuratoires élevées

L’ensemble de la filière, lit bactérien plus boues activées « aération prolongée », assure une élimination de la pollution globale garantissant, dans les conditions de charge nominale, un niveau de rejet eNK2.

Facilité d’exploitation

Le système, utilisant des techniques simples, présente une grande fiabilité et une exploitation aisée. Par ailleurs, le matériau de garnissage Sessil du lit bactérien se caractérise par l’impossibilité totale de bouchage.

Applications multiples

L’utilisation de l’ensemble de la filière ou uniquement du premier étage constituent des solutions appropriées, susceptibles d’intéresser de nombreuses communes des régions vinicoles dépourvues de systèmes épuratoires adéquats. Concrètement, ce processus est particulièrement adapté aux situations suivantes :

  • • création d’une installation nouvelle destinée à traiter des effluents vinicoles ou mixtes à dominantes vinicoles ;
  • • extension et amélioration d’installations existantes, épisodiquement surchargées par des rejets vinicoles.
[Publicité : Faure]
[Publicité : Broyeur Clero]
Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements