Le canal de Charleroi à Bruxelles relie la Sambre, affluent de la Meuse, à Bruxelles dans un axe nord-sud, tandis que le canal du Centre, prolongé par les canaux de Mons à Condé et d’Antoing à Pommerœul, descend vers l’Escaut, à l'ouest.
Le projet de relier, par étapes successives, les bassins de la Meuse et de l’Escaut apparut dès le début du XIXᵉ siècle. Entre 1811 et 1871, pas moins de onze projets furent successivement déposés, mais tous furent classés sans suite.
Au-delà des longues périodes politiquement troublées que connut la région, des problèmes techniques importants se posèrent, liés à la configuration du terrain. Il fallut tout d’abord tenir compte d'une différence de niveau d’environ 90 mètres entre les embranchements du canal de Charleroi, d’une part, et le canal de Mons à Condé, d’autre part. Ensuite, les rivières locales fournissaient une quantité d'eau insuffisante pour alimenter efficacement une série de petites écluses. La construction d’ascenseurs, faibles consommateurs d’une eau amenée par pompage, s'imposait.
Quatre ascenseurs hydrauliques
Au mois de novembre 1878, l'ingénieur en chef du Hainaut fut envoyé en Grande-Bretagne pour évaluer le fonctionnement d'un ascenseur implanté trois ans plus tôt à Anderton. Il remit aux autorités, en janvier 1879, un rapport qui concluait au bien-fondé de l'adoption du même type d’ascenseur que celui
[Photo : C'est à Anderton dans le Cheshire (GB) qu’a été mis en service en 1875, le premier ascenseur à bateaux hydraulique.]
[Photo : Vue de l'un des quatre ascenseurs hydrauliques de l'ancien canal du Centre.]
d’Anderton. Le 4 juillet 1879, un premier crédit de trois millions de francs belges était voté pour la construction du canal du Centre, doté de quatre ascenseurs hydrauliques. La décision définitive de construction fut entérinée par une loi votée le 4 août 1879. Le projet retenu était celui d'un canal creusé dans la vallée du Thiriau, la différence de niveau à cet endroit étant rattrapée par un ensemble de quatre ascenseurs hydrauliques métalliques. Tous seraient de type Clark et devraient permettre la navigation de bateaux de 300 tonnes. Au début du mois de février 1884, les plans définitifs de l'ascenseur n° 1 d’Houdeng-Goegnies, conçu par la maison Stanfield et Clark de Londres, sont terminés. Les travaux de construction débutent en 1884 pour se terminer en 1888. L'ascenseur est inauguré le 4 juin 1888 par le roi Léopold II. Mais ce premier ascenseur, en état de fonctionner dès 1888, fut tributaire pendant presque 30 ans d’un canal inachevé. Démarré en 1910, le canal du Centre ne devait être achevé et inauguré qu’en 1915. Lorsque la première guerre mondiale survint, les travaux furent sensiblement ralentis. Et le canal ne fut ouvert à la navigation qu’en 1917. Les trois autres ascenseurs furent prêts pour les essais, au mois d’août 1917. Le canal était alors enfin en eau, et l’on naviguait en passant successivement par les ascenseurs hydrauliques. La mise en œuvre du projet de ce canal prit donc près de 40 ans.
[Photo : Vue du canal de sortie de l'ascenseur.]
La mise à grand gabarit
Mais en 1954, les États membres des Communautés européennes décident à Paris de porter et normaliser les gabarits de voies navigables à 1350 tonnes. Trois ans plus tard, la Belgique adoptait la loi dite des « 1350 tonnes », destinée à concrétiser la décision de Paris programmant la mise à grand gabarit des principales voies navigables du pays. Il fallait pour cela remplacer les 4 ascenseurs hydrauliques à 300 tonnes construits en 1884 et classés au patrimoine mondial de l'Unesco. La décision de construire un nouvel ascenseur ne fut prise qu’en 1977. Les études préalables débutèrent en 1978, et le premier coup de pioche eut lieu à Strépy le 4 mai 1982. Il s'agissait de racheter en une seule fois une chute de 73,15 mètres sur le canal du Centre. Ces travaux feront de l'ascenseur funiculaire de Strépy-Thieu le plus grand ascenseur du monde, sans équivalent, constituant ainsi un véritable exploit technique du génie civil.
[Photo : La salle des machines : quatre moteurs de 550 kW chacun sont chargés d’assurer la mise en marche d'un bac.]
Strépy-Thieu, un chantier spectaculaire
D'importantes études géologiques, hydrologiques et géotechniques furent menées dès le début du projet. Dans les
sols rencontrés, qui datent de l’Albien et sur lesquels reposent les fondations de l’ouvrage, plusieurs fossiles remontant à plus de 65 millions d’années ont été trouvés. Ils sont aujourd’hui exposés dans une salle située au sommet de l’ouvrage, et accessibles au public. Des rabattements de nappes phréatiques de près de 20 mètres ont dû être réalisés.
[Photo : L’ouvrage proprement dit comprend une tour centrale en béton armé, étayée par deux files latérales de 6 colonnes métalliques chacune.]
L’ouvrage proprement dit comprend une tour centrale en béton armé, étayée par deux files latérales de 6 colonnes métalliques chacune. Le cube de béton avoisine les 100 000 m³, tandis que le poids de l’acier, bacs non compris, atteint près de 10 000 tonnes pour les armatures et 4 000 pour les colonnes de support. Construit dans une région sismique, l’ouvrage a été conçu pour résister à un tremblement de terre d’une magnitude de 5,5 sur l’échelle de Richter.
Le chantier spectaculaire du double ascenseur funiculaire, couvre une distance de 1 500 mètres sur les 19 kilomètres de la nouvelle boucle du canal du Centre. Deux millions d’heures de travail, un ouvrage haut de 117 mètres, long de 13 et large de 75 mètres, 144 câbles de suspension de 85 millimètres de diamètre chacun, des bacs pesant jusqu’à 8 400 tonnes, permettent aux bateaux de compenser en sept minutes une dénivellation de 73 mètres, tout relève de la performance technique et du record à Strépy-Thieu.
Une technologie simple
Mais au-delà des apparences, l’ascenseur à bateaux de Strépy-Thieu s’appuie sur une technologie assez simple. L’ouvrage proprement dit abrite deux ascenseurs indépendants l’un de l’autre, capables d’embarquer chacun dans un bac mobile rempli d’eau et équilibré par des contrepoids, un ou plusieurs bateaux.
Les bacs occupés par les bateaux à la montée ou à la descente offrent une longueur utile de 112 mètres, une largeur de 12 mètres et une profondeur d’eau pouvant varier entre 3,35 et 4,15 mètres. Construits en acier, leur poids unitaire s’échelonne de 7 200 à 8 400 tonnes.
La liaison entre les bacs et les contrepoids est assurée par des câbles d’acier (8 de suspension et 32 de commande) dont la longueur totale est de 36 km. Huit groupes de mécanismes identiques, situés au sommet de l’ouvrage, dans la salle des machines, actionnent un bac. Ils sont composés de treuils à tambours et de poulies. Des dispositifs élaborés veillent à une bonne répartition des charges. Le guidage des bacs est assuré par des galets et des rails. La translation verticale s’effectue à une vitesse de 20 cm par seconde, ce qui porte la durée totale de translation du bac à 7 minutes. Mais le franchissement complet de l’ouvrage par les bateaux nécessite quelques 40 minutes. Quatre moteurs de 550 kW chacun sont chargés d’assurer la mise en marche d’un bac. Un réducteur grande vitesse puis un réducteur petite vitesse régulent successivement la vitesse de rotation des moteurs de 1 000 tours par minute à 100 tours par minute, puis à 1 tour par minute. Un arbre de synchronisation permet d’équilibrer convenablement la manœuvre sur toute la longueur du bac. La phase de translation est découpée en milliers de séquences, dont le bon déroulement est soumis en permanence à trois capteurs électroniques. À tout instant, si deux d’entre eux réagissent négativement, la manœuvre s’arrête instantanément.
L’étanchéité des deux bacs a été également particulièrement soignée : leurs extrémités sont équipées d’une porte étanche au même titre que les extrémités des biefs amont et aval. Entre les deux portes, un joint souple assure une étanchéité absolue entre le bac et le bief pendant l’ouverture des portes qui sont manœuvrées simultanément.
Après 20 ans de travaux, la première ascension
Le 6 novembre 2001, après plus de vingt années d’études et de travaux, une première péniche, la CBR-12, d’un poids de 1 264 tonnes franchit pour la première fois l’ascenseur à bateau de Strépy-Thieu, marquant ainsi l’achèvement de la mise au gabarit européen du réseau des voies navigables wallonnes. Depuis les études préalables entreprises en 1978, près de 625 millions d’euros ont été dépensés, trois fois plus que le montant initialement prévu. À deux kilomètres en amont, le pont-canal du Sart, un autre monstre de béton, désenclave l’ascenseur. Ce pont-canal surplombe la route sur une longueur de près de 500 mètres. Ses piliers sont conçus pour supporter une charge d’eau totale qui avoisine les 800 000 tonnes. Quant aux quatre ascenseurs hydrauliques de l’ancien canal du Centre, c’est désormais un avenir touristique et culturel qui s’ouvre à eux, grâce aux promenades en bateaux qui sont proposées sur l’ancien canal aux berges verdoyantes.
[Photo : Surplombant la route sur une longueur de près de 500 mètres, le pont-canal du Sart a été conçu pour supporter une charge d’eau totale qui avoisine les 800000 tonnes.]