Il s’agit d’une technique qui permet de déterminer la qualité d'une eau résiduaire urbaine in situ, de façon rapide, peu coûteuse et qui présente des perspectives de développement encourageantes.
Les eaux résiduaires urbaines sont essentiellement caractérisées par leur pollution organique. Pour contrôler les rejets urbains et optimiser le fonctionnement des stations d’épuration, il est donc indispensable de mesurer la quantité de matières organiques présentes dans l’effluent. À cet effet, plusieurs méthodes ont été mises au point, telles que les mesures des demandes en oxygène (DBO, DCO) ou du carbone organique total (COT). Mais elles sont parfois longues (cinq jours pour la DBO), peu précises ou très coûteuses (COT).
Pour remédier à cette situation, le Laboratoire de Chimie et Environnement de l’Université de Provence en collaboration avec la société Secomam * a conçu une nouvelle méthode qui permet de déterminer la qualité d’un effluent urbain in situ et en quelques secondes, méthode qui associe le programme informatique « UVdiagnostic » aux propriétés d’absorptiométrie UV de l’effluent.
* Le Laboratoire a contribué à la phase de recherche et d’élaboration, et la conception finale du programme a été confiée à Secomam.
[Photo : L’appareillage.]
Principe de la méthode
L’absorptiométrie UV
Le principe optique utilisé consiste à mesurer l’atténuation, par l’eau, d’un faisceau lumineux ultraviolet (200-400 nm).
Un rayon incident d’intensité I₀ traverse une cuve de longueur L, dans laquelle est placé l’échantillon. La lumière transmise est d’intensité I. On définit alors l’absorbance A par la formule :
A = –log₁₀ (I/I₀)
D’après la loi de Beer-Lambert, l’absorbance est proportionnelle à la concentration c du constituant présent dans l’échantillon :
A = ε l c (ε : coefficient d’extinction molaire).
Si plusieurs constituants sont présents dans l’échantillon, A est égal à la somme des absorbances correspondant à chaque constituant.
Des méthodes de détermination des matières organiques utilisant l’absorptiométrie à une longueur d’onde (254 nm) parfois compensée par l’absorptiométrie à une deuxième longueur d’onde, ont fait l’objet de recherches. Cependant elles cachent la reconnaissance de certaines données nécessaires à la détermination de la qualité de l’effluent. L’idée retenue ici est donc de travailler par absorptiométrie multi-longueurs d’onde et d’exploiter le spectre de l’échantillon dans son ensemble.
La méthode
Le spectrophotomètre
Le spectrophotomètre qui a été mis au point par les chercheurs se compose d’un monochromateur UV-VIS associé et piloté par un micro-ordinateur IBM ** PC ou compatible.
Le monochromateur se caractérise par une très grande pureté spectrale, une haute énergie (donnée par l’optique mono-faisceau et permettant une
** PC/IBM, marque déposée.
[Photo : Structure du programme « UVdiagnostic »]
[Photo : Méthode de détermination de la qualité de l’échantillon]
Le spectrophotomètre utilisé possède une grande gamme d’absorbances et une grande vitesse de balayage (2 800 nm/min).
Le logiciel associé est écrit en langage Spectro Pascal, qui permet :
- – des mesures standards, tel que concentration, spectre, cinétique, multicomposant...
- – des mesures spécifiques, logiciel Vésuve ** (visualisation et étude du spectre UV de l’eau) et UVdiagnostic.
*** Pour le dosage automatique des nitrates, chlores, chrome VII, phénols...
numéro de l’échantillon : 324
données : DBO₅ = 3 mg/l O₂ ; DCO = 33 mg/l O₂ ; COT = 6 mg/l
type de la station : boue activée après aération prolongée.
MEST = 3 mg/l
lieu de prélèvement : sortie
facteur de dilution : 4
Résultats du programme « UVdiagnostic »
tri : L’échantillon inconnu est un effluent contenant des nitrates.
affinage du tri : L’effluent contient des nitrates, il y a peu de matières organiques.
calculs : Carbone organique calculé : 11,6 mg/l.
Teneur en nitrates : 55,8 mg/l.
[Photo : Étude spectrale d’une eau résiduaire urbaine. Échantillon n° 324]
Le programme « UVdiagnostic »
Le programme « UVdiagnostic » est structuré en trois parties. Les deux premières sont essentielles et permettent de caractériser la qualité de l’effluent. La troisième partie est une étape d’estimation quantitative.
– 1ʳᵉ étape : un tri préliminaire
Après quelques tests préliminaires sur le spectre à étudier tel qu’un test de saturation, le programme effectue, d’après un critère sur la forme du spectre, un premier classement de l’échantillon. Il peut s’agir soit d’un échantillon où les matières organiques sont prédominantes (effluent brut ou effluent traité sans nitrification pendant le traitement), soit d’un échantillon dont la teneur en nitrates est importante (effluent traité). Un premier message résultant de ce tri s’affiche à l’écran.
– 2ᵉ étape : l’affinage du tri
Par une procédure de comparaison sur un ensemble de spectres caractéristiques, le programme affine le premier tri. Il est alors capable d’indiquer plus précisément à quel point de dégradation se situe la matière organique de l’échantillon. Un message tel que « présence de matières organiques partiellement biodégradées » ou « principalement biodégradées avec un début de nitrification » s’affiche à l’écran.
– 3ᵉ étape : les calculs
En fonction des données d’absorbance du spectre considéré dans son ensemble et des données des spectres caractéristiques choisis précédemment, « UVdiagnostic » calcule la teneur en carbone organique ainsi qu’une estimation en % de la fraction biodégradable. Pour les échantillons contenant des nitrates en quantité plus importante, la concentration en nitrates est calculée.
Mise en œuvre du programme
Le principe consiste à adjoindre un programme informatique au spectrophotomètre.
L’échantillon, sans aucun traitement préalable, est soit placé manuellement dans le monochromateur, soit amené par un système de pompage. La lecture du spectre a lieu pendant une dizaine de secondes. Les absorbances correspondant aux longueurs d’onde allant de 200 à 350 nm sont gérées par le « UVdiagnostic », dans lequel les longueurs d’onde varient par pas de 1 nm. L’exploitation de l’ensemble du spectre par ce programme permet d’indiquer en quelques secondes les caractéristiques de l’échantillon.
numéro de l'échantillon : 393
type de la station : boue activée après aération prolongée.
lieu de prélèvement : entrée
données : DBO₅ = 61 mg/l O₂ ; DCO = 162 mg/l O₂ ; MEST = 39 mg/l ; COT = 25 mg/l
facteur de dilution : 1
Absorbance
200 220 240 260 280 300 320
Longueur d’onde en nm
tri : L’échantillon est un effluent brut épuré (sans nitrification) contenant des matières organiques.
affinage du tri : L’échantillon contient des matières organiques partiellement biodégradées.
calculs : Carbone organique calculé : 23,6 mg/l. Estimation de la fraction biodégradable : 29,5 %
[Photo : Fig. 4 : Étude spectrale d’une eau résiduaire urbaine. Échantillon n° 393.]
numéro de l’échantillon : 394
type de la station : boue activée après aération prolongée.
lieu de prélèvement : sortie
données : DBO₅ = 26 mg/l O₂ ; DCO = 77 mg/l O₂ ; MEST = 50 mg/l ; COT = 7 mg/l
facteur de dilution : 1
Absorbance
220 240 260 280 300 320
Longueur d’onde en nm
tri : L’échantillon inconnu est un effluent brut ou épuré (sans nitrification) contenant des matières organiques.
affinage du tri : L’échantillon contient principalement des matières organiques biodégradées.
calculs : Carbone organique calculé : 10,0 mg/l. Estimation de la fraction biodégradable : 27,7 %
[Photo : Fig. 5 : Étude spectrale d’une eau résiduaire urbaine. Échantillon n° 394.]
Les résultats
Les tests ont eu lieu sur un ensemble de 90 échantillons d’eaux résiduaires urbaines. Les figures 3, 4 et 5 montrent les résultats obtenus sur trois échantillons différents.
L’échantillon 324 est un effluent de sortie de station d’épuration à boue activée avec aération prolongée. Ainsi, le programme « UVdiagnostic » est capable de déterminer, à partir de la forme du spectre de l’échantillon et de sa propre base de données, que cet effluent contient essentiellement des nitrates et peu de matières organiques.
Les échantillons 393 et 394 correspondent à des prélèvements, respectivement à l’entrée (eau brute) et à la sortie (eau traitée) d’une station d’épuration du type « boue activée ». D’après les messages affichés à l’écran, une amélioration de la qualité de l’effluent est observée. Les « matières organiques partiellement biodégradées » de l’effluent d’entrée deviennent « principalement biodégradées » dans l’effluent de sortie. Cette exploitation qualitative du spectre est confirmée par une diminution de la teneur calculée en carbone organique.
« UVdiagnostic » est également capable d’indiquer si l’échantillon est de nature inconnue (cas des eaux parasites industrielles). Il fait lui-même l’auto-apprentissage de situations de référence et il est donc utilisable pour des fonctions d’alerte.
Lorsque la teneur en matières en suspension est élevée, des perturbations peuvent intervenir et fausser le résultat. Une étude est actuellement en cours pour résoudre ce problème.
Perspectives
La méthode utilisée ici est un premier pas vers une détermination in situ simple et rapide de la qualité d’une eau. Plusieurs orientations sont actuellement envisageables pour l’améliorer :
- – affiner les résultats quantitatifs et, en particulier, le calcul de la fraction biodégradable ;
- – élargir l’utilisation du programme à d’autres types d’eau, comme les eaux naturelles (rivières...) et les eaux résiduaires urbaines ;
- – étendre les performances de la méthode à d’autres constituants (estimation des détergents, estimation des phénols et du chrome pour les eaux industrielles, estimation des métaux lourds avec l’intégration d’un module de prétraitement...).
Les applications de cette méthode intégrant un type de programme informatique à un spectrophotomètre d’absorptiométrie UV sont nombreuses : contrôle en continu de l’effluent d’entrée et du rejet d’une station d’épuration, réseaux de surveillance et d’alerte en rivières...
Il s’agit donc d’une méthode qui, d’ores et déjà, permet de déterminer la qualité d’une eau résiduaire urbaine in situ, de façon rapide, peu coûteuse, et qui présente des perspectives de développement encourageantes.