Les méthodes de conception des systèmes d'assainissement avaient donné lieu à une "instruction technique relative aux réseaux d'assainissement des agglomérations" diffusée en 1977. Depuis lors, de nombreuses évolutions sont intervenues. Elles sont liées non seulement au développement de l'urbanisation, aux avancées dans la connaissance des données (par l'observation des phénomènes), aux progrès des outils mis à disposition ainsi qu'aux techniques mises en ?uvres, mais aussi à la nécessité de maîtriser les pollutions par temps sec et la prise de conscience de la quantité et de la qualité des eaux par temps de pluie. C'est pourquoi un nouvel ouvrage de référence a été édité pour apporter aux intervenants dans la conception de l'assainissement des éclairages essentiels à l'accomplissement de leur mission. Un travail de concertation a été réalisé par un groupe de travail constitué d'acteurs essentiels de ce domaine, pour réaliser le guide "La ville et son assainissement : principes, méthodes et outils pour une meilleure intégration dans le cycle de l'eau". L'ambition de cet article n'est pas d'exposer le contenu de ce guide, mais d'en donner une illustration pratique au travers d'un projet d'aménagement urbain : la ZAC des grandes Terres à Beynost (Ain). L?urbanisme et les méthodes d'assainissement pluvial de la ZAC ont su mettre en application des principes qui sont désormais préconisés par ce nouveau guide technique. On pourra néanmoins rappeler quelques pistes essentielles de la réflexion induite par ce guide, qui apparaissent dorénavant comme incontournables lors de la conception de l'assainissement de tout projet urbanistique, et tout spécialement en zone urbaine.
L'ambition de cet article n'est pas d'exposer le contenu de ce guide, mais d'en donner une illustration pratique au travers d'un projet d'aménagement urbain : la ZAC des Grandes Terres à Beynost (Ain). L’urbanisme et les méthodes d’assainissement pluvial de la ZAC ont su mettre en application des principes qui sont désormais préconisés par ce nouveau guide technique. On pourra néanmoins rappeler quelques pistes essentielles de la réflexion induite par ce guide, qui apparaissent dorénavant comme incontournables lors de la conception de l’assainissement de tout projet urbanistique, et tout spécialement en zone urbaine.
La maîtrise du ruissellement, comme la qualité du milieu naturel, nécessite une approche globale du cycle de l'eau qui intègre l'ensemble des paramètres. Elle doit prendre en compte les relations entre l'amont et l'aval, mais aussi entre le système hydraulique et les milieux naturels. L'approche globale doit donc appréhender à la fois la problématique de l'ensemble du bassin versant et celle du système d'assainissement, tout en les intégrant dans l'urbanisation. Un des premiers aspects du système d'assainissement concerne les inondations qui peuvent se manifester sur le réseau hydrographique naturel, débordements de rivières ou de simples talwegs, coulées de boue... Il s'agit bien là de la prise en compte des éléments donnés par la topographie et l'hydrographie, éventuellement aggravés par l'intervention humaine (imperméabilisation, pratiques agricoles...).
La ZAC des Grandes Terres à Beynost (Ain)
Beynost est située à une vingtaine de kilomètres à l'Est de Lyon, dans la vallée du Rhône, en contrebas de la côtière de la Dombes.
À la suite des violents événements pluvieux de 1995, la collectivité a pris conscience du risque inondation sur la ville de Beynost et a choisi alors d’entreprendre, sur le conseil de la DDAF de l'Ain, toutes les études et travaux nécessaires à une refonte de l’assainissement pluvial communal dans son ensemble :
- l'aménagement des bassins versants amont et du réseau hydrographique dans la côtière ;
- l'intégration de ces apports modulés dans le réseau urbain, en incluant les apports urbains actuels et à venir ;
- la volonté d’avoir recours à des techniques innovantes, alternatives à l’assainissement « tout au réseau » traditionnel.
La création d’un nouveau centre-ville, la ZAC des Grandes Terres, au cœur de secteurs déjà urbanisés, posait la problématique de l'intégration de nouveaux débits dans un système déjà bien congestionné, tant en capacité d’évacuation (pentes, grandes infrastructures : A43, VF Lyon-Genève, RN84) qu’en capacité de stockage (milieu urbain, contrebas de côtière).
Quand l’urbanisme s’adapte aux contraintes de l’assainissement...
Le schéma d’assainissement pluvial initial, basé sur des principes d’assainissement classiques, a été écarté après les pluies de 1995.
Un nouveau schéma d’assainissement, sur la base cette fois d’un niveau de protection maximal calqué sur ces épisodes pluvieux de 1995, faisait appel à des techniques alternatives avec réorganisation des espaces collectifs. Ce schéma a été une nouvelle fois abandonné devant l’impossibilité, malgré l’effet des différentes techniques utilisées, d’évacuer les débits résultants vers l'aval.
La décision de la collectivité et de l’aménageur a été alors de dédensifier l’urbanisme de la ZAC. Le schéma d’urbanisme a ainsi été « refondu » afin de réduire l’imperméabilisation des sols, mais aussi de libérer des espaces publics pour l’installation de dispositifs alternatifs. Le recours à l’infiltration d’une partie des eaux permettait d’augmenter les capacités d’évacuation.
Niveaux de service
La pluie du 8 août 1995, particulièrement exceptionnelle du fait, non pas uniquement de son intensité (105 mm en 45 minutes), mais aussi de ses conséquences désastreuses (inondations, érosions et dépôts alluviaux), a fortement marqué les mémoires beynolanes. C’est pourquoi la municipalité a demandé de concevoir le système d’assainissement pluvial du projet sur les bases de la pluie enregistrée ce jour-là.
Ainsi, pour le projet des Grandes Terres, le niveau maximal de risque choisi correspond à la pluie enregistrée le 8 août sur l'aéroport de Satolas, soit 80 mm en 1 heure. Ce niveau de protection maximal est agrémenté de niveaux de service intermédiaires :
- pluies faibles : eaux invisibles ;
- pluies moyennes (période de retour d’environ 2 ans) : rétention ;
- pluies fortes (la pluie de projet) : rétention et inondation contrôlée.
- - pluie exceptionnelle : transparence des ouvrages et convergence des eaux de ruissellement excédentaires vers les espaces de rétention, les parkings sur les lots et la voirie.
Pour la définition de ces seuils et des niveaux de service, il est nécessaire de garder à l'esprit qu'il peut exister un événement pluvieux encore plus important que la pluie exceptionnelle connue, si forte soit-elle. Les ouvrages doivent donc toujours conserver une certaine transparence aux ruissellements.
En conclusion, la définition des seuils séparant les niveaux de service (exprimés en période de retour), et donc le choix du niveau de risque accepté pour la collectivité, reste toujours une décision politique, basée sur le conseil du bureau technique.
Principes retenus
L’assainissement de la ZAC des Grandes Terres est conditionné par l'application de quelques principes incontournables comme la déconnexion des eaux pluviales du réseau, la limitation de l'imperméabilisation, la rétention et l'infiltration des eaux... Les eaux usées, en réseau séparatif, rejoignent la station d'épuration intercommunale. Les eaux pluviales de voiries sont évacuées par le réseau pluvial communal existant, tandis que les eaux pluviales des lots et espaces collectifs sont traitées de façon autonome. Il est ainsi nécessaire d'avoir une vision globale de l'aménagement et d'en faire ressortir des espaces partagés afin d'augmenter l'espace des zones inondables et de diminuer en conséquence les risques inhérents aux événements exceptionnels.
Les principes retenus sont les suivants :
- - valoriser au maximum le système d'assainissement existant en évacuant les eaux de voirie vers le réseau communal existant ;
- - favoriser l'infiltration pour l'assainissement des secteurs les plus hauts, en délimitant une zone d'assainissement pluvial autonome avec puits d'infiltration, tranchées de rétention-infiltration, rétention sur les espaces verts ;
- - favoriser l'injection dans les alluvions du Rhône dans les secteurs bas, avec la réalisation de 24 forages d'injection équipés de dispositifs de traitement de ces eaux avant leur injection en nappe ;
- - favoriser toutes les techniques de rétention diffuse sur les lots et les espaces collectifs, avec l'utilisation de tranchées, puits, bassins enterrés, revêtements poreux, chemins... ;
- - diriger les inondations vers des sites moins vulnérables avec une mise en forme paysagère pour le stockage de ces eaux inondantes.
Traduction paysagère des solutions retenues
Chaque territoire organisé par l'urbanisme devrait pouvoir recevoir, retenir et disperser ses eaux de pluie sur le site, sans faire appel à une évacuation lointaine : la pluie doit être gérée en premier lieu sur son site de production.
En termes de cycle de l'eau pour les surfaces plantées, cette contrainte se rapproche en fait d'une simple gestion écologique. En termes de création paysagère et d'organisation de l'espace, notre réflexion a abouti sur le précepte essentiel de montrer volontairement cette gestion technique des eaux de ruissellement. Prenant comme principe que la sécurité est liée à un risque progressif pour lequel personne n'est surpris lors de son événement, nous avons proposé que tous les aménagements destinés à gérer ces eaux pluviales soient visibles et concourent directement à l'organisation du site. Cette lisibilité d'un phénomène possible crée sa propre information continue. Ces aménagements vont prendre de multiples formes selon leur situation dans le nouveau quartier, la disponibilité des surfaces plantées proches, la vocation des espaces collectifs ou encore l'existence d'un relief.
Les aménagements principaux
Le jardin des plantées
De forme triangulaire, cet espace présente une faible pente générale de l'ordre de 3 % et correspond à un jardin public de détente. Inscrits dans cette faible pente, trois murets structurent l'espace à la façon de terrasses placées en promontoires successifs. De faible hauteur (environ 70 cm à leur pointe), ils délimitent en fait des zones inondables directement reliées au système d'infiltration par puits. Composées de graviers filtrants, ces terrasses sont traitées à la façon de prairies sèches par l'emploi des graminées. Les cheminements y sont parallèles à la pente pour guider les eaux le plus calmement possible. Le cheminement principal, bordé de plantations arbustives, est accompagné.
Accompagné longitudinalement par une bordure drainante constituée de graviers à ciel ouvert, ce système de récupération des eaux s'évacue par un drain inférieur relié aux tranchées d'infiltration situées sous les cheminements. Un principe de redent des fonds de tranchées assure une capacité optimale et une homogénéité de l'ensemble.
Le square
C'est la zone centrale qui correspond dans l'organisation du quartier à une véritable place de village réservée aux piétons. Placée sur le chemin des écoles, elle est un point particulier de rencontres et de manifestations de détente. Elle est située à la cassure de terrain et sert de liaison axiale entre le nouveau centre et le bourg ancien.
Avec près de 4 mètres de dénivelée, sa situation autorise les vues perspectives hautes et basses sur le nouveau quartier. Son centre est un espace de pelouse d'environ 400 m² traité en creux à la façon d'un amphithéâtre placé à contre-pente du site. Le large plan incliné de cette pelouse inondable vient buter contre les maçonneries ouvragées de deux terrasses symétriques calées en léger surplomb. Une troisième terrasse belvédère leur sert de liaison tout en devenant le point focal de la perspective du mail central du quartier. Ces deux terrasses jumelles sont en fait des bassins de rétention à débit limité dont la « montée » en eau se réalise graduellement, d'abord en inondant leur constitution en gravier, puis en les submergeant progressivement, marche par marche. La capacité de chaque terrasse est d'environ 100 m² ; elles recueillent les eaux de toitures des deux complexes immobiliers situés sur les parcelles voisines amont. Le bassin central est quant à lui une surverse d'équilibre des six forages d'injections auxquels aboutissent les débits de fuite des terrasses amont, les eaux pluviales d’une partie des parcelles voisines aval et celles du square lui-même.
La fontaine
La fontaine est en fait un élément factice de la gestion des eaux pluviales mais nécessaire pour sa présence vivante et agréable en ville. Elle présente une eau ruisselante depuis un plateau surélevé, placé au-dessus de l'œil du promeneur, permettant d'en avoir un maximum d'effet.
dynamique. L'emplacement de la fontaine n'est pas neutre car elle est placée au-dessus d'un cuvelage enterré. Ce cuvelage de 100 m² correspond à un bassin de tamponnement des débits en provenance du mail central et d'une partie des 2 parcelles voisines amont, avant leur injection en nappe dans 8 forages situés sous la voirie d'accès principale. Ce dispositif autorise de plus la décantation des eaux à injecter et le contrôle du colmatage des ouvrages d'injection.
La place ronde du bourg
Cœur du futur centre-bourg de Beynost, par son emplacement volontaire sur la route nationale actuelle, la grande place ronde sera une vitrine commerçante et un lieu de service pour tous les habitants.
Sa situation au centre d'un espace quasi horizontal impliquait un travail en excavation pour contenir les volumes à infiltrer. Toujours déterminé à montrer les possibilités d'inondation de ses surfaces, le projet a proposé des espaces à double visage. Placés en contre-point des zones de stationnement, les deux espaces plantés s'inscrivent en demi-amphithéâtres pour offrir une continuité du plan du trottoir périphérique.
Depuis les façades commerçantes, l'espace sera donc largement ouvert et visible alors que depuis la voirie, celui-ci reste dissimulé. Cette disposition permet de conforter la différenciation des espaces entre carrefour automobile et place commerçante. Elle gère ainsi naturellement la sécurité des piétons.
Les ouvrages hydrauliques sont traités de façon volontaire et en échelle avec leur rôle vis-à-vis des différents niveaux de service. La végétation qui borde les fonds en galets simule une berge sèche pour en rappeler cette fonction.
Ce dispositif recueille, tamponne et infiltre les eaux pluviales de la par—
celle attenante, tandis que les eaux de la parcelle symétrique sont évacuées vers 3 forages d’injection sous le parking de la future galerie commerciale.
La pluie : une ressource urbaine
La nouvelle ZAC des Grandes Terres a été inaugurée le 6 juillet 2002... sous la pluie. Notre approche de l’assainissement pluvial de la nouvelle ZAC des Grandes Terres à Beynost, volontairement intégrée à l’urbanisme, a permis de confirmer certaines règles et principes aujourd’hui incontournables et préconisés par le nouveau guide technique, et notamment :
- - quelles que soient les contraintes pour l'aménagement d'un site, des solutions techniques adaptées sont toujours réalisables, si tant est que la volonté du maître d’ouvrage de les réaliser existe ;
- - l'échelle de la prise en compte des risques pour la collectivité, et donc des contraintes et des niveaux de service pour la réalisation des aménagements, reste (et doit rester) une décision politique, aidée par le travail d’analyse du bureau d’étude conseil ;
- - il est indispensable d'intégrer les contraintes en termes d'assainissement pluvial à la vocation sociale du site ; les ouvrages ne peuvent plus être dédiés uniquement à l'assainissement pluvial mais doivent nécessairement s'adapter à d'autres fonctions propres aux sites concernés.
Nous rappellerons donc que, pour une meilleure appréhension du risque, les systèmes doivent être conçus pour fonctionner dans toutes les conditions météorologiques (même pour des pluies supérieures à la pluie de projet), et qu'il est indispensable de raisonner avec une approche intégrée, qui associe les auteurs du projet d’urbanisme et d'aménagement et ceux des systèmes d’assainissement.
Ces nouveaux projets peuvent ainsi être l'occasion de développer de nouveaux espaces “naturels” en ville ou de valoriser les espaces publics existant ou à créer.
D'un point de vue paysager, l'eau est le premier paysagiste de notre environnement et continuera d’influer directement sur notre organisation de l'espace. Chaque culture humaine a développé avec la pluie et les eaux de ruissellement sa propre position qui peut aller du rejet systématique à la vénération vitale. Notre société industrielle s'est attachée à réguler, de façon apparente tout au moins, ce phénomène naturel en le cachant le plus rapidement possible (canalisations, endiguements, couverture des ruisseaux).
L’ampleur de la pluie du 8 août 1995 à Beynost a rappelé à la collectivité la puissance de l'eau. Beynost a pris conscience qu'il fallait désormais compter avec la pluie, et a su prouver que les techniques et les méthodes innovantes ne manquaient pas pour continuer d’aménager et d’étendre son tissu urbain, tout en s’assurant d'une amélioration de la qualité de vie, avec l'intégration d’espaces partagés et d'une politique d’assainissement globale, prenant en compte tous les paramètres environnementaux, tant amont qu'aval.
La volonté politique communale s'en est faite le porte-parole en englobant l'assainissement pluvial à son nouveau programme urbain comme une contrainte prioritaire. L’exemple de la nouvelle ZAC de Beynost a montré que les contraintes particulièrement fortes imposées au projet initial, ont, en fin de compte, permis de travailler des espaces de façon forte et volontaire par la mixité des fonctions sociales et hydrauliques. La sécurité semble atteinte par cette symbiose établie entre risque intégré et vécu quotidien. Cette prise en compte d'un caractère extraordinaire du site qui crée son propre paysage, là où rien ne semblait orienter telle ou telle mémoire du lieu, a permis à la pluie de redevenir le vecteur principal de l’amélioration du cadre de vie communautaire, en faisant œuvre de paysagiste, tout en respectant et en protégeant l'environnement, naturel ou urbanisé.