L?industrie du traitement de surface produit des effluents toxiques dont elle doit impérativement réduire la toxicité avant rejet dans le milieu naturel. Se pose alors le problème du choix d'une solution de traitement adaptée et économiquement acceptable. Nous avons développé un outil informatique d'aide à la décision pour le choix de solutions de traitement. Cet outil, après avoir évalué les coûts de fonctionnement de l'épuration classique de type physico-chimique, établit, à partir d'une base de données et d'une base de cas réels, la liste des procédés de valorisation applicables au cas défini ainsi que leur coût.
L’industrie du traitement de surface est génératrice d'une grande quantité de déchets liquides. Ces derniers présentent un caractère toxique soit directement pour l'homme, soit pour l’environnement et surtout sont un gisement non négligeable de métaux ou de réactifs pouvant être valorisés. Pour les traiter il existe de nombreuses méthodes, mais le manque d'information à leur sujet ainsi que la diversité des critères qui interviennent rendent difficile le choix de la meilleure solution. Dans ce contexte, nous avons entrepris de développer un outil informatique destiné à rendre plus accessible l'information sur les techniques de traitement disponibles et à aider les producteurs de déchets issus du traitement de surface à identifier les solutions de valorisation pouvant être mises en place dans leur entreprise.
Pollutions engendrées par les effluents issus du traitement de surface
En général, une chaîne de traitement de surface se compose d’enchaînements de fonctions (prétraitement, traitement, finition) composées de plusieurs postes (bain de traitement, rinçages, passivation, ...). Ces opérations sont génératrices de déchets aqueux contenant des polluants variés comme : des matières dissoutes organiques ou minérales (métaux lourds, acides ou bases, cyanure, phosphate, fluorure), des matières en suspension... Outre leurs effets toxiques et écotoxicologiques, ces composés introduisent des perturbations dans le fonctionnement des stations d’épuration urbaines en modi
Tableau 1 : Seuils de rejet autorisés par l’arrêté du 26 septembre 1985
| Élément | [Al] | [Cd] | [Cr III] | [Cr VI] | [Cu] | [Fe] | [Ni] | [Pb] | [Sn] |
|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
| Seuil (mg/l) | <5 | <0,2 | <3 | <0,1 | <2 | <5 | <5 | <1 | <2 |
| Élément | [Zn] | [CN] | [F] | [NO₃⁻] | [PO₄³⁻] | [C₆H₆] | [DCO] | [MES] | pH |
| Seuil (mg/l) | <5 | <0,4 | <15 | <1 | <40 | <5 | <150 | <30 | 6,5-9 |
fiant ou en inhibant le métabolisme bactérien.
Deux textes réglementaires dictent la recherche des solutions de traitement :
Arrêté ministériel du 26 septembre 1985 concernant les rejets des ateliers de traitement de surface : ce texte [2] régit les rejets aqueux des ateliers de traitement de surface en direction du milieu naturel (rivières ou réseau urbain) en définissant les seuils de concentration des différents polluants présents dans les rejets (tableau 1). Ces exigences peuvent éventuellement être renforcées localement par l’arrêté préfectoral de l’installation.
Loi du 13 juillet 1992 sur l’élimination des déchets et la récupération des matériaux : cette loi [3] définit la politique de la France concernant le traitement des déchets en établissant des priorités. Il s'agit, par ordre de préférence :
- de la prévention et de la réduction de la nocivité et du volume de déchets produit,
- de la limitation des volumes transportés et des distances parcourues lors du transport,
- de la valorisation des déchets par réemploi, recyclage ou toute autre action visant à obtenir à partir des déchets des matériaux réutilisables ou de l’énergie.
Depuis l’arrêté de 1985, de nombreux industriels se sont équipés de station de détoxication dont les opérations de base sont basées sur des réactions classiques d'oxydoréduction, de précipitation de composés métalliques et de neutralisation des effluents. Au contraire des opérations classiques, les procédés de valorisation sont nombreux et ne sont pas liés à une famille de polluants. Les objectifs poursuivis par ces opérations sont variés, il peut s'agir de :
- concentrer un effluent dilué en vue de sa régénération,
- récupérer un réactif ou un métal,
- séparer un élément actif de l’effluent à éliminer,
- extraire un contaminant du bain de traitement pour en prolonger l'utilisation...
Les principales techniques applicables aux effluents de traitement de surface sont présentées dans le tableau 2. Il convient de noter qu’un procédé de valorisation est rarement utilisé seul mais souvent en association avec d'autres techniques de valorisation ou de dépollution.
Pourquoi un système d’aide à la décision ?
Si les textes précédents définissent bien les objectifs en termes de valorisation des déchets et de limitation des rejets polluants, par contre ils ne précisent pas les techniques à utiliser. À l’heure actuelle, il n’existe, à notre connaissance, aucun outil permettant à un industriel soucieux de l’environnement d’identifier rapidement les différentes techniques envisageables pour résoudre ses problèmes de rejets industriels. C’est pourquoi nous avons entrepris de développer un outil évolutif destiné à remplir les fonctions suivantes :
- diagnostic de la pollution à éliminer,
- identification des procédés théoriquement applicables et de leurs objectifs,
- détection d’incompatibilités liées à la composition particulière de l’effluent,
- évaluation de l’efficacité des solutions envisagées,
- calcul des coûts (investissement et de fonctionnement) et des gains attendus,
- informations sur les procédés.
Principes du raisonnement
Les raisonnements applicables à la recherche d'une solution de valorisation sont notablement différents de ceux débouchant sur le choix d’une solution de dépollution classique. En effet, dans le cas d'une dépollution, c’est essentiellement la présence de certains polluants dans l’effluent qui déter-
Tableau 2 : Principales caractéristiques des procédés de valorisation applicables aux effluents de traitement de surface
| Procédé | Cible | Objectif | Type de bain |
|---|---|---|---|
| Evaporation | toute solution ou mélange aqueux | concentration | concentré |
| Électrolyse | ions | concentration | concentré |
| Osmose inverse | ions | concentration | concentré |
| Cristallisation | sels en solution + bases | extraction sel cristallisé | concentré |
| Électrolyse (ions électrodéposables CN⁻) | ions électrodéposables CN⁻ | extraction métal et oxydation CN⁻ | concentré |
| Échange liquide-liquide | ions | migration/oxydation/réduction | concentré |
| Résines chélatantes | ions | fixation des ions et restitution | concentré |
| Résines adsorbantes | acides minéraux | régénération acide | dilué + concentré |
| Résines échangeuses | ions | séparation ionique | dilué |
| Filtration | matières en suspension | séparation MES | clarifié |
| Centrifugation | matières organiques et MES | séparation MES et matière organique | concentré |
| Décantation | huiles | séparation huiles | concentré |
| Ultrafiltration | matières organiques | séparation matières organiques | concentré |
Minera le type de traitement à entreprendre. Par contre, pour une solution de valorisation, il faut également prendre en compte les possibilités de débouchés des produits valorisés, toujours fonction du process générateur du déchet. Donc, pour une composition comparable, deux effluents issus de fonctions différentes ne pourront pas nécessairement être valorisés par les mêmes procédés.
Calculs relatifs à une solution classique de traitement de dépollution
Lorsque la composition de l’effluent est connue, il est possible, après calcul :
- - de prévoir les quantités de réactifs à utiliser pour que le niveau de pollution soit compatible avec la norme de rejet,
- - d’évaluer la quantité de boues générées et ainsi de prévoir le coût approximatif du traitement.
Les opérations étudiées dans l’outil sont pour l’instant les suivantes : décyanuration, déchromatation, précipitation des ions métalliques, neutralisation.
Solution de valorisation
Chaque fonction de traitement de surface est caractérisée par une composition type de bain, un mode d’apport des réactifs et une évolution des bains au cours du traitement. Les procédés de valorisation peuvent être caractérisés par le type de produit visé, leur objectif et le niveau de concentration des bains auxquels ils peuvent être appliqués (tableau 2). Par exemple, en fonction de la composition du bain et de son évolution au cours du temps, différents objectifs pourront être choisis. Ainsi, si la concentration en réactif dans un bain a tendance à diminuer sans qu’il y ait augmentation notable d’éléments parasites, on pourra choisir de concentrer le bain ; il restera alors à compléter les pertes volumiques par un apport modéré de bain neuf. Au contraire, dans le cas d’un bain dans lequel la concentration en éléments parasites aurait tendance à augmenter, on choisira d’extraire cet élément parasite afin de prolonger la vie du bain. Enfin, s’il existe une possibilité d’utiliser le métal comme anode ou s’il existe un marché externe, on pourra envisager la récupération métallique par électrolyse.
Ces considérations ont permis à l’ANRED [4] d’établir une correspondance entre les fonctions de traitement de surface et les procédés de valorisation envisageables. Nous avons complété cette étude par des cas relevés dans la bibliographie récente [5].
Il existe pour chaque procédé envisagé un certain nombre de contraintes qui sont liées aux incompatibilités matérielles ou à la nature du procédé lui-même (exemple : électrolyse et présence de fer qui réagit à la fois à l’anode et à la cathode en mobilisant la quasi-totalité du courant). Nous avons prévu dans l’outil une structure de données qui permet de prendre en compte ces contraintes. Enfin, afin de pouvoir apporter une information d’ordre économique sur les procédés de valorisation, nous avons mis en place une base de cas. Cette base recense une cinquantaine d’exemples relevés dans la littérature. Pour certains d’entre eux, nous disposons d’un schéma de l’installation, d’informations sur les débits, les coûts et la composition des effluents. Cette base est appelée à s’étoffer au fur et à mesure de l’exploitation de l’outil.
Structure du système d’aide à la décision
Le système d’aide à la décision a été conçu comme une base de données de manière à pouvoir facilement y introduire de nouvelles informations. Nous avons distingué deux types de données : les paramètres de description et les éléments de solution. Les paramètres de description vont servir à l’utilisateur à décrire la situation de son atelier : il s’agit principalement du type de fonction de traitement, des postes, des paramètres physico-chimiques des bains et des éléments chimiques présents associés à leur concentration. Les éléments de solution sont constitués par l’ensemble des procédés de valorisation, la base de cas, les résultats de calcul de détoxication ainsi que toutes les données annexes (fournisseurs, matériels, …). C’est le lien entre les paramètres de description et les éléments de réponse qui constitue la base de connaissances de l’outil d’aide à la décision.
Paramètres de description
Nous avons repris la classification de l’ANRED que nous avons implantée sous forme d’une arborescence à trois niveaux : le type de traitement, la fonction proprement dite, la nature des réactifs utilisés. À chacune des fonctions, il est possible d’associer une famille de déchets correspondant aux rubriques de la nomenclature française des déchets [6].
Paramètres physico-chimiques
Il s’agit ici du pH du bain examiné, de la température, du débit, du taux de matières en suspension, de la DCO, du taux d’hydrocarbures et du taux de métaux. Une fois ces paramètres introduits par l’utilisateur, l’outil identifie les écarts à la norme (arrêté du 26
septembre 1985) et quantifie l’action de dépollution à entreprendre.
Composition du bain
Nous avons implanté une base de données de composés chimiques classés par grandes familles : métaux dissous, acides, bases, sels non métalliques, complexants... L’outil est muni d’une interface qui permet de choisir facilement les éléments présents et d’en introduire la composition. Pour les éléments les plus classiques (métaux et cyanures) il existe une base de données chimiques (produits de solubilité, masses molaires) qui permet de réaliser les calculs de détoxication classique.
Éléments de solution
Procédés de valorisation
Pour chaque procédé, l’utilisateur dispose d’un schéma et d’un texte d’explication. Il peut faire appel à la base de cas pour consulter des exemples de réalisation (figure 1). Chaque cas est décrit par la fonction de traitement de surface concernée, la composition des principaux flux de l’installation, les objectifs du procédé de valorisation mis en œuvre. Des informations sur les coûts sont données lorsqu’elles sont disponibles. Un commentaire sur les conditions de mise en œuvre vient éventuellement compléter ces données.
Lien entre les paramètres de description et les éléments de solution
À partir de l'étude de l’ANRED, nous avons établi des liens fonction-procédé entre les fonctions de traitement et les procédés envisageables pour ces fonctions. Nous avons également identifié les contraintes particulières pesant sur chaque procédé et qui sont exprimées sous la forme d’une association entre des paramètres (concentration en un élément donné ou paramètre physico-chimique tel que le pH ou le taux de MES) et des niveaux maximaux. Un ensemble de contraintes constitue un critère. Pour chaque lien fonction-procédé, nous pouvons associer un critère qui sera général ou spécifique de la fonction concernée. Lors de la recherche de solutions, l’outil identifie d’abord les solutions envisageables puis il identifie l’ensemble des critères à respecter. En fonction des informations dont il dispose, il élimine les solutions incompatibles. Lorsqu’un paramètre de description est inconnu de l’utilisateur, il n’est pas pris en compte par le système, qui conserve alors la solution associée.
Session d’utilisation
Au cours d’une session, l’utilisateur est amené à décrire son installation en identifiant la fonction de traitement de surface concernée et en caractérisant les bains qui la composent. L’outil identifie alors les procédés de valorisation envisageables, et élimine ceux dont les contraintes particulières sont incompatibles avec la composition de l’effluent. Il calcule les quantités de réactifs nécessaires à une épuration classique des effluents. Enfin, il identifie les cas les plus proches, suivant la fonction de traitement envisagée, la composition des effluents. Il peut aussi fournir des exemples d’applications d’un procédé tirés de la base de cas.
Conclusion
Nous avons développé un système d’aide à la décision destiné à informer les professionnels du traitement de surface des possibilités qui s’offrent à eux pour dépolluer ou valoriser leurs effluents. Cet outil permet à l’utilisateur de décrire son installation : identification de la fonction de traitement de surface, bains présents, composition des bains ; de faire apparaître les écarts à la norme de rejet, de calculer les quantités de réactifs à utiliser pour traiter les bains par une méthode physico-chimique classique et, enfin, d’identifier les procédés de valorisation applicables aux effluents considérés. De plus, une base de cas permet de disposer d’exemples et d’éléments sur les coûts.
Références bibliographiques
[1] B. Debray, Systèmes d’aide à la décision pour le traitement des déchets industriels spéciaux, Thèse, INSA Lyon 1997.
[2] Atelier de Traitement de surfaces, J.O. du 16 novembre 1985 et du 8 novembre 1990.
[3] Élimination des déchets, installations classées pour la protection de l’environnement, loi n° 92-646 au J.O. du 14 juillet 1992.
[4] Les déchets des industries du traitement de surface, ANRED, 1988, 252 p.
[5] Traitements de surface, Techniques de réduction des déchets, CETIM, 1995.
[6] Avis du 16 mai 1985, nomenclature française des déchets, J.O. du 16 mai 1985.

